Journée d’études sous la direction d’Elisa Carfantan et Jean-Baptiste Massuet
La représentation de la fabrique cinématographique par le biais du cinéma engage une forme de réflexivité qui opère à deux niveaux : d’abord celui du représenté, c’est-à-dire des choix opérés par les cinéastes quant à ce que l’on choisit (ou non) de montrer de cette fabrique à l’écran ; mais aussi celui du dispositif même de représentation, puisque la technique permettant de produire les images en question est bien souvent la même que celle qui apparaît sur ces dernières. Filmer – par exemple – une caméra sur un plateau de tournage revient ainsi à mettre en place un jeu de miroir assez évident, qui redouble au plan diégétique ce qui se passe au plan génétique, et qui invite le spectateur à percevoir à l’écran le dispositif même par lequel les images qu’il regarde sont conçues. C’est sans doute pour cette raison que le métafilm donne la plupart du temps le sentiment de nous « renseigner » sur l’envers du cinéma, de nous donner à voir en toute transparence une réalité que les autres films s’évertuent à cacher : leurs reconstructions imaginaires des tournages sont ainsi dissimulées sous le vernis d’un pseudo-réalisme que détermine en grande partie cette dimension spéculaire.
L’animation s’est également prêtée à ce jeu d’auto-représentation, que ce soit pour informer le public de ses méthodes de fabrication en composant avec une part plus ou moins importante de fantasme (How Animated Cartoons Are Made, William Carlson, 1919 ; Le Dragon récalcitrant, Jack Kinney, Hamilton Luske, Alfred L. Werker, Jack Cutting, Ub Iwerks, 1941), ou pour s’inspirer des imaginaires lui étant associés, comme on le voit dans Invocation (Robert Morgan, 2013), où la caméra d’animation devient une machine organique qui donne littéralement vie à des êtres de chair dupliqués d’après les figures filmées image par image. Mais qu’en est-il par ailleurs des croisements menant l’animation à représenter un dispositif qui lui est fondamentalement étranger, à savoir celui des films réalisés en prises de vues réelles ?
En l’absence de l’appareillage propre à ces films, l’animation joue en effet sur un autre plan que celui du miroir pour représenter gestes et objets du cinéma, dont elle révèle en réalité plusieurs imaginaires sous-jacents, mais de manière désaxée. Cette journée portera ainsi sur la manière dont les films d’animation se représentent la fabrique du cinéma « traditionnel », de la préproduction à la diffusion en salle, en passant par le plateau de tournage (machines, techniciens, acteurs), la postproduction (montage), ou encore la vie privée des stars (interviews, coulisses). Les enjeux historiques des relations entre ces deux régimes de représentation seront en ce sens moins discutés que les choix se dégageant de la représentation de l’un par l’autre : pourquoi et comment donner à voir telles pratiques, tels acteurs (au sens large) et tels appareils ? Comment les cinéastes d’animation se saisissent-ils de cette place particulière qui est la leur, dès lors qu’ils décident de mettre en images une manière de concevoir les films qu’ils ont justement choisi de ne pas adopter ? Quel regard portent-ils sur cette fabrique cinématographique que l’animation a précisément permis de réinventer par le biais de ses propres techniques ? Et par extension, qu’est-ce que l’animation nous révèle de l’idée que l’on se fait du cinéma à telle ou telle époque, non plus seulement au plan théorique comme cela a souvent été analysé , mais cette fois plutôt au plan des imaginaires culturels, techniques et sociaux ?
Cette journée d’études se veut la plus ouverte possible afin de proposer un panel varié d’approches du sujet. On accueillera ainsi des communications portant sur ces reconfigurations animées de divers pans de la fabrique cinématographique, sans nécessairement privilégier une période, un espace géographique ou une forme d’animation en particulier.