Johanni Curtet et Nomindari Shagdarsuren se sont rencontrés en Mongolie autour d’un art musical ancestral : le Khöömii, aussi appelé chant diphonique mongol. Johanni effectuait alors une thèse en ethnomusicologie sur le khöömii avec l’université Rennes 2, tandis que Nomindari travaillait sur l’inscription de cet art vocal aux listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ils monteront ensemble le projet « Routes Nomades » avec le maître de chant diphonique Tserendavaa Dashdorj, une structure qui diffuse le khöömii à travers le monde en organisant des concerts depuis plus de 10 ans. Cette année ils vont sortir une Anthologie musicale du Khöömii chez Buda music.
Le Khöömii
Le Khöömii est une technique vocale mongole. C’est une des nombreuses traditions musicales de ce peuple, mais c’est celle qui a le plus marqué les occidentaux. Ceux-ci l’ont classé dans la catégorie des chants diphoniques. Cette technique vocale tire probablement ses origines d’un besoin de dialogue avec la nature. Cela se remarque dans des sonorités du khöömii qui font, par exemple, penser à des timbres aquatiques : fréquence basse de l’eau qui coule dans le lit d’une rivière, sons aiguës des clapotis de l’eau…
Le chant diphonique est un chant qui peut produire plusieurs fréquences sonores à partir d’un seul organe vocal. On retrouve cette technique un peu partout dans le monde. Pour le Khöömii, il s’agit d’une voix qui dégage un bourdon vocal dont le son est enrichi vers une couleur gutturale. Puis une mélodie d’harmonique complexe est modulée par un déplacement de la langue ou des lèvres. La particularité mongole est ce timbre guttural, une voix de gorge pressée, qui peut superposer jusqu’à cinq sons en même temps.
C’est un chant du quotidien nomade qui se pratique sous la yourte ou près du cheptel. Mais depuis les années 50 il se développe sous la forme d’un art de scène avec des musiciens professionnels. Aujourd’hui les deux formes cohabitent mais la forme scénique prend le dessus. Cette forme spectaculaire véhiculée par les médias locaux (radio, télé), influence beaucoup les pratiquants non professionnels. Inversement, le monde de la scène vient chercher son inspiration dans le mode de vie traditionnel nomade qui constitue les racines culturelles de la pratique.
Le Khöömii appartient à tous les peuples mongols répartis sur plusieurs territoires administratifs d’Asie centrale : la Chine, la Mongolie et la Russie. Chaque peuple développe des techniques originales et c’est ce qui fait la richesse de cet art vocal. Cependant cette répartition peut générer des conflits, notamment lors de l’inscription du Khöömii aux listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. En 2009 cet évènement a vu un naître un débat houleux entre la Chine et la Mongolie autour de la propriété de cet art. Même si dans ce genre de cas l’UNESCO préconise des inscriptions transnationales, le Khöömii n’échappe pas aux récupérations nationalistes des hommes politiques.
En rouge : espace occupé actuellement par les populations mongoles
En orange : limite de l’ancien empire mongol.
L’Anthologie musicale du Khöömii
Après avoir travaillés sur l’inscription du Khöömii aux listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, Johanni et Nomindari ont fait le constat qu’il n’y avait aucune documentation générale sur le sujet. Ils ont donc voulu créer un objet de transmission accessible à tous. Cette idée va se matérialiser dans la création d’un disque musical : « L’Anthologie du Khöömii » . Il sera édité cette année en trois langues (Français, Mongol et Anglais). De plus la méthode employée pour la réalisation de ce disque est novatrice en Mongolie. En effet, les précédentes initiatives d’enregistrements étaient isolées et mal documentées. Régulièrement les diphoneurs des steppes ignoraient l’existence de leurs captations sonores car ils n’avaient pas eu de réels retours de la part des précédents chercheurs. Johanni et Nomindari ont donc voulu faire office de bonne pratique en documentant un maximum tous les enregistrements et en demandant un droit de diffusion aux chanteurs ou à leurs familles afin de respecter la propriété intellectuelle.
Ce disque est également un objet qui traduit un certain engagement politique vis à vis de cette tradition. Tous les musiciens, quelle que soit leur notoriété, ont été traités de manière égale au sein de l’Anthologie. Chaque artiste possède une plage sonore sur le disque afin de casser la hiérarchie entre les diphoneurs connus et inconnus. L’accent a été mis sur les chanteurs des steppes et le mode de vie pastoral car c’est le cadre naturel du Khöömii. En fait ce disque veut aller contre l’uniformisation des pratiques car aujourd’hui les gens de la campagne s’alignent beaucoup sur ce qui se fait en ville et à l’université. Il serait dommage que la diversité de cette tradition s’appauvrisse alors qu’elle est très vivace et en pleine expansion. Johanni et Nomindari font le pari qu’une tradition ancestrale peut s’inscrire dans la modernité sans perdre son essence. Ce pari semble d’ailleurs lié au destin actuel de la Mongolie où l’exploitation minière florissante pousse les Mongols à se sédentariser. Malgré tout ces derniers restent attachés aux pratiques socioculturelles du nomadisme.
Cet article a été réalisé à partir d’un entretien avec Johanni Curtet et Nomindari Shagdarsuren le 30/03/2016.
Une tournée avec des maîtres du Khöömii est actuellement en cour en Europe. Elle passera par Rennes le 18 et 19 avril prochain, au Pont Supérieur et à l’opéra.
Pour aller plus loin :
https://www.facebook.com/routesnomades/
Références photos :
Paysage de Mongolie, Shagdarsuren N.
Davaajaz et Curtet J, Shagdarsuren N.
Carte de répartition des populations Mongoles.
Ganzorig, Otgonbaatar Ts.
Ösökhjargal, DR.