Bruno Tardieu est co-directeur du centre de mémoire et de recherche d’ATD Quart-Monde international.
De plus en plus de penseurs s’accordent à dire que c’est notre modèle de civilisation qui est la cause même de notre incapacité à éviter la catastrophe climatique. Une civilisation « cannibale », prédatrice, « délire de la puissance » et de la maîtrise de la nature qu’il faut remettre en cause. L’exploitation de la nature par l’homme, de l’homme par l’homme va jusqu’à un mépris de l’homme pour la nature, et un mépris de l’homme pour l’homme. Ce mépris est une conséquence d’une conception de l’homme comme « homo oeconomicus », n’agissant que de manière froidement rationnelle dans son meilleur intérêt matériel ; conséquence d’une conception de la société humaine comme un marché, où tout serait marchandise. On peut acheter le travail humain, le séparer de l’homme ; on peut acheter le droit à polluer, acheter les informations sur les comportements intimes de chacun, acheter des listes de donateurs, la charité devient un business, la solidarité une marchandise.
Face à cela, les signataires du manifeste convivialistes constatent que des personnes s’organisent pour recréer des « communs » (Dardot, Laval), espaces de création et de partage (Gorz) qui échappent au marché. Tentés de ne pas théoriser leurs actions par réaction au siècle des grandes idéologies politique, ces espaces courent le risque de ne pas produire de dissonance avec la pensée dominante économiciste qui tend à faire croire que le marché est la loi naturelle fondamentale. Pour remettre en cause cette pensée qui devient unique, le manifeste formule une autre pensée et affirme que ces espaces de résistance redécouvrent un fondement humain : ce qui génère le lien de la société c’est la relation non marchande, anti utilitariste, c’est le donner-recevoir-rendre, « roc éternel de la morale » découvert par Marcel Mauss. Ceci précède le marché et le contrat : le don inconditionnel, la capacité à recevoir, à donner à nouveau, fondent la confiance, génèrent la relation, la relation pour elle-même, la société.
Mais cet effort de théorisation suffira-t-il à enrayer les forces immenses derrière ce totalitarisme de l’argent ?
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