Résumé
Conférence de Wiam Berhouma, coordinatrice de l’ouvrage et membres de la commission antiraciste du syndicat sud éducation 93, et Steeve Rehel, contributeur du livre, ancien AED, Coordinateur-Animateur au sein du Front de mères 35, Membre de la commission antiraciste de Sud Éducation 35.
Dans le cadre du cycle des Mardis de l’égalité et en partenariat avec Shed publishing et SUD Éducation 93
L’école républicaine française est un espace où nommer et analyser les formes institutionnelles du racisme peut s’avérer périlleux.
En 2017, le syndicat SUD Éducation 93 organise un premier stage de formation à la pédagogie antiraciste destiné à la communauté éducative. Cette initiative fera l’objet d’attaques judiciaires et médiatiques sans précédent de la part de journalistes, parlementaires, et du ministre de l’Éducation nationale en personne.
Au-delà de la controverse, l’ouvrage revient sur les outils proposés au cours des trois stages menés par la commission antiraciste du syndicat entre 2017 et 2022, donnant ainsi accès à une ressource pionnière en la matière en France. Les analyses des rouages du racisme à l’école, développées entre autres par Nacira Guénif, Marwam Muhammad, Ugo Palheta, Myriam Cheklab, ou Saïd Bourmama, se mêlent à des contributions d’enseignant·es, de CPE, d’assistant·es d’éducation et de parents pour intégrer concrètement l’antiracisme aux méthodes d’apprentissage et d’accueil des élèves et de leur famille.
Empruntant à la pensée de Bell hooks, Amílcar Cabral, Élise et Célestin Freinet ou Paulo Freire, Entrer en pédagogie antiraciste met en avant une multiplicité de démarches guidées par le désir de prendre soin les un·es des autres, pour faire de l’éducation une véritable pratique de liberté.
Transcription
Bonsoir à tous et à toutes.
Je suis ravie de vous retrouver pour la suite
de nos rencontres des Mardis de l’égalité.
Je vous remercie de continuer à porter votre
intérêt sur les questions relatives à l’égalité
et aux enjeux qu’elles soulèvent.
Je remercie également les équipes
du service culturel et du CREA
pour leur contribution à la réussite
de cette soirée, une fois de plus.
Je rappelle que cette soirée est filmée
et sera mise en ligne dans quelques jours
sur lairedu.fr et sur notre chaîne YouTube
pour une meilleure accessibilité.
Alors ce soir, nous accueillons
Wiam Berhouma et Steeve Rehel
pour nous présenter leur ouvrage collectif,
dont le titre est une invitation :
Entrer en pédagogie antiraciste,
d’une lutte syndicale à des
pratiques émancipatrices.
Le livre est publié aux éditions Shed publishing.
Aliénor et la librairie Comment dire tiennent
le livre à votre disposition dans le hall.
Wiam est enseignante au collège et membre de la
commission antiraciste du syndicat SUD Éducation 93.
Elle est coordonnatrice de l’ouvrage
qu’elle présente ce soir aux côtés de Steeve Rehel,
membre de la commission antiraciste
de SUD Éducation 35.
La conférence qu’iels présentent ce soir
est le fruit d’un long travail collectif
et d’un engagement profond
pour identifier et déconstruire les formes que pren-
nent les racismes au sein de l’institution scolaire
et pour nous outiller également
en pédagogie antiraciste.
Porter le regard sur les mécanismes
systémiques fournit les clés
qui permettent d’entrer dans
une démarche de considération,
guidant la diffusion des connaissances.
Wiam Berhouma et Steeve Rehel,
si vous voulez me rejoindre.
[Applaudissements]
Je vous remercie d’être là et
d’avoir accepté cette invitation
et de nous offrir ce temps d’échange.
Je vous invite à écouter,
à poser vos questions et à enrichir
ce moment avec vos réflexions
dans le respect de la diversité des
points de vue qui s’exprimeront.
Steeve et Wiam, je vous laisse la parole
pour nous présenter votre ouvrage.
Merci vraiment de votre présence et
je vous souhaite une très belle soirée.
[Applaudissements]
– Bonsoir, vous m’entendez ?
– Un, deux.
– Bonsoir à toutes et à tous.
C’est à notre tour de vous
remercier pour cette invitation.
On est vraiment honorés de
pouvoir être là ce soir.
D’autant qu’on voit que ça bouge
pas mal à Rennes 2. Bravo !
Vous pouvez vous applaudir pour ça,
parce que franchement, je crois que…
[Applaudissements]
Cette initiative des Mardis de l’égalité,
c’est vraiment quelque chose de précieux.
Et donc, bravo en tout cas
pour ces Mardis de l’égalité.
– J’aurais pas mieux dit en vrai.
C’est une super initiative.
J’espère qu’elle pourra se poursuivre.
Bravo aux Mardis de l’égalité, j’ai envie de dire.
Et au service culturel.
– Bien sûr !
On est venu vous parler du livre
Entrer en pédagogie antiraciste.
On ne pourrait pas vous parler de ce livre sans vous
raconter un peu son histoire et comment il est né.
C’est déjà l’aboutissement de
plusieurs années de travail,
mais c’est surtout l’aboutissement
de stages qui ont créé la colère
et la polémique partout en France,
en partant du 93 en 207. Pour vous
raconter un peu l’histoire de ce livre,
dont on vous parlera tout à
l’heure, on reviendra dessus.
On part en 207 d’un premier stage,
parce qu’on sait qu’en fait,
dans un système qui est raciste,
l’école n’est pas exempte de ce racisme.
Nous, en tant que pédagogues, on se pose la question
de comment on peut adresser ce racisme à l’école,
comment on peut l’aborder
et développer des outils
pour à la fois en parler, mais aussi,
si possible, le déconstruire.
On crée des stages de formation
à SUD Education 93,
et pour la première fois,
on parle de racisme d’État à l’école.
Ce premier stage est très vite repris par
la fachosphère sur les réseaux sociaux.
Il faut quand même que je vous donne le décor,
c’est-à-dire que nous, à SUD Éducation 93,
on est un syndicat local
avec quelques centaines d’adhérent·es
et on n’est pas non plus les
premiers sur la scène syndicale.
Quand la fachosphère s’empare
de ce stage sur les réseaux,
tout de suite,
on a un emballement médiatique qui s’opère
et on a la fachosphère qui donne le ton, qui dicte
ce qui va se passer par la suite au gouvernement.
Très vite, on a le ministre de l’Éducation
nationale, Jean-Michel Blanquer à l’époque,
qui annonce à l’Assemblée
nationale porter plainte contre nous
pour l’utilisation du terme racisme
d’État. Il porte plainte en diffamation
contre le syndicat SUD Éducation 93.
À partir de cette première plainte,
je dis première parce que vous allez voir, le chiffre 3
va beaucoup revenir tout au long de notre intervention,
mais donc cette première plainte,
elle est d’abord jugée irrecevable,
pour tout un tas de technicalités qui sont,
qu’on ne peut pas porter plainte
contre une personne morale et qu’en fait…
Enfin bon, voilà, il y a tout un tas de choses.
Mais donc cette première plainte en
diffamation, elle est jugée irrecevable.
Et s’en suit une deuxième plainte,
encore de Jean-Michel Blanquer,
qui cette fois-ci porte plainte pour discrimination.
Pourquoi ? Parce que dans ce stage qui
s’appelle « Au croisement des oppressions »,
parmi une vingtaine d’ateliers, il me semble
que trois ou quatre sont en non-mixité.
Il est jugé que cette non-mixité-là, ce serait une
discrimination à l’égard des personnes blanches
qui se seraient vues refuser l’accès à ce stage.
– Est-ce qu’on peut demander au public de faire un ouuuuuh ?
– Non, vous n’êtes pas obligé. (Rires)
– J’ai dit demander, pas imposer.
Cette deuxième plainte, il faut savoir
qu’elle a occasionné une forte répression.
D’où le fait que je ne peux pas vous parler
de ce livre-là sans vous raconter son histoire.
Parce qu’il y a eu une répression tout au
long, et encore aujourd’hui d’ailleurs,
c’est encore en cours, tout au long des stages
que l’on a menés et lors de l’écriture de ce livre.
Cette deuxième plainte, c’est
une plainte pour discrimination.
Elle occasionne des auditions, on est
plusieurs à être convoqué·es au commissariat
et à être auditionné·es sur les termes utilisés
pendant ce stage et sur la discrimination,
sur est-ce qu’il y aurait eu
discrimination ou pas.
On nous pose plein de questions,
la commissaire nous demande :
mais c’est quoi la blanchité ? Est-ce que vous
pouvez nous expliquer ce que c’est que la blanchité ?
Et donc iels tapent nos réponses, etc.
C’était un moment magique.
Cette deuxième plainte, pareil, elle tombe
à l’eau parce qu’elle ne s’appuie sur rien,
étant donné que personne n’a porté plainte pour discri-
mination et que si cette plainte ne venait pas d’en haut,
comme ça nous a été dit, eh bien, en fait,
il n’y aurait jamais eu cette plainte-là.
(Rires)
Cette plainte étant tombée à l’eau,
nous entre-temps, on fait un deuxième
stage, en 209, si je ne me trompe pas,
eh bien s’en suit une troisième plainte, cette
fois-ci venant des députés Les Républicains.
La temporalité est intéressante,
parce qu’on a commencé en 207,
et je vous dis qu’encore aujourd’hui,
il y a cette troisième plainte qui est en cours,
de cinq députés Les Républicains contre le
syndicat, encore une fois pour discrimination.
Ils remettent la discrimination sur la table,
et aussi pour poursuite d’un objet
politique de la part du syndicat.
Comme quoi le syndicat aurait un
objet politique islamo-gauchiste.
Et donc ils perdent et font appel.
C’est pour vous donner un peu
toute l’historique de la répression.
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure,
c’est contre un petit syndicat,
qui a pris de l’ampleur au fur et à mesure,
grâce aux stages qui ont amené
beaucoup d’adhésions,
beaucoup de gens nous ont rejoints.
Cette question étant tellement
peu abordée dans l’éducation
qu’il y a un réel besoin de
formation sur la question,
qu’il y a un besoin d’en parler et
qu’il y a un besoin d’avoir des outils
sur cette question du racisme à l’école,
des discriminations, des oppressions
et du racisme systémique en général.
Tout ça pour vous dire,
le petit syndicat qu’est SUD Éducation
93 doit faire face à la machine,
au rouleau compresseur de l’État,
doit prendre des avocat·es, doit payer
avec les adhésions des syndiqué·es, etc.
C’est pour vous dire un peu tout cet acharnement
sur des années, depuis 207
jusqu’à encore aujourd’hui.
– Ça vous est revenu à combien en frais
d’avocat, si ce n’est pas trop indiscret ?
– Je pourrais pas dire totalement
parce qu’à chaque nouvelle plainte
ça occasionne de nouveaux frais.
Mais je pense qu’on était bien aux
alentours des 0 000 euros.
– Ah, la vache…
– Voilà.
– Je me permets de prendre le relai.
– Je t’en prie.
Avec ce qui s’est passé avec ces trois sessions de for-
mation qui étaient super intéressantes et nécessaires,
et le backlash, la répression qu’il y a eu,
ça nous a un peu montré les différents
ennemis / adversaires qu’il y a
lorsqu’on tente de porter une parole
et créer des espaces où
on assume l’antiracisme politique en fait.
Il y a l’État, typiquement,
désolé, mais il y a l’État
qui historiquement est inscrit
dans une colonialité,
qui est inscrit dans une manière
de pratiquer la discrimination,
la disqualification des actions qui visent
à autonomiser et à permettre l’émanci-
pation des personnes racisées.
Il y a la fachosphère, j’allais dire.
Bon, typiquement,
les gens qui sont dans le spectre
de la suprématie blanche,
mais qui sont à l’extrémité, c’est-à-dire les
suprémacistes blancs et blanches aussi.
Il y a aussi le printemps républicain
qui est sur cet arc-là et qui peut s’arroger
le fait apparemment d’être de gauche,
mais de gauche comme [Manuel] Valls,
ou Barbara Lefebvre, merci mais non merci.
En parlant de cette gauche, il y a aussi,
j’avais cru comprendre, tu me corriges,
il y avait aussi par exemple
des articles de journaux,
du coup aussi la sphère médiatique, avec le Figaro
et Valeurs Actuelles, quelqu’un·e est surpris·e ici ?
Mais un peu plus surprenant quand
on n’est pas au fait de comment
un système discriminatoire comme
le racisme, il est transversal.
Il y a des journaux comme le Canard
Enchaîné qui se sont permis de faire
des parallèles entre la non-mixité politique
et l’apartheid en Afrique du Sud.
Oui, vous pouvez tchiper pour les personnes
qui savent et qui sont concernées.
Mais du coup, il y a tout cet ensemble
d’acteurs et d’actrices qui sont contre
l’autonomisation, contre la construction
et le renforcement de ces espaces-là.
C’est assez bluffant de voir que c’est régu-
lièrement les mêmes qu’on voit, en fait.
C’est régulièrement les mêmes qu’on voit.
Du coup, je voulais juste rajouter ça, en fait.
Mais bon, on s’en fiche.
– Non, non, on ne s’en fiche pas justement,
je vous raconte l’histoire de ce livre,
mais ce qui est intéressant à noter,
et je pense qu’au-delà de la question de
la répression, et c’est la répression étatique,
donc forcément, elle est intéressante à souligner,
quand Jean-Michel Blanquer, à l’époque, annonce
qu’il va porter plainte contre SUD Éducation 93,
sur un fait sociologique, par ailleurs, parce
que la sociologie parle aussi de racisme d’État
et qui utilise ces termes-là,
il est applaudi par toute l’Assemblée nationale,
c’est-à-dire de ce qu’on appelle l’extrême
gauche jusqu’à l’extrême droite.
Il est ovationné par cette Assemblée nationale.
Effectivement, tous les partis politiques,
repris ensuite par les médias, etc.,
auront tous un mot sur le stage
antiraciste de SUD Education 93,
pour le qualifier d’une manière ou d’une autre,
mais forcément, bien sûr, de manière positive.
Il y a eu quelques personnalités
qui ont défendu le stage, très rares,
mais effectivement, ça a été une ovation.
Tout ça pour vous dire que,
cette question du racisme dans l’éducation,
c’est une question qui est brûlante.
Ensuite, l’utilisation du mot race dans
notre manière d’étudier la question,
c’est un mot tabou.
Enfin, le racisme n’est pas
l’apanage de l’extrême droite,
je parlais de la fachosphère et du printemps
républicain qui s’étaient emparés,
de la plaquette du stage, mais
ce n’étaient pas les seuls.
Le racisme n’est pas l’apanage
de l’extrême droite, au contraire.
D’où la nécessité de faire avancer ces questions.
On est bien heureux·ses de voir que ces
questions avancent et que depuis 207,
il y a quand même eu l’utilisation de
ces mots-là qui sont rentrés.
Le stage de SUD Éducation 93
a permis de mettre ces termes-là,
au devant de la scène médiatique.
C’est-à-dire qu’on a commencé à dire…
Alors on n’a pas commencé à ce moment-là,
bien sûr, on ne va pas s’attribuer le mérite de…
Mais en tout cas, ça a eu le mérite de mettre
ces mots-là sur la scène médiatique
et d’avoir des journaux qui
parlent de la non-mixité,
qui s’interrogent sur : est-ce vraiment
un outil ou la nouvelle ségrégation ?
Mais en tout cas, il y a eu ces mots-là.
Je vous citais l’exemple de la commissaire
c’est quoi la blanchité ? Avec trois
points d’interrogation sur la tête.
C’était intéressant de voir que sur le procès verbal,
c’était un petit cours d’antiracisme sur le procès verbal,
avec toutes les questions et les
réponses attenantes. C’était assez drôle.
– Vous leur avez envoyé un devis ?
(Rires)
– On aurait dû, pour cette intervention gratuite.
– Est-ce que je peux rappeler quelque chose,
je ne sais pas si on l’a dit au début,
on s’était dit avec l’organisation,
qu’on allait faire environ 45 minutes
de discussion avec Wiam,
et après, ouvrir la discussion
au maximum possible.
Gardez ça en tête, on va essayer
de respecter nos engagements.
La preuve, on vous le dit.
Ça nous engage.
Peut-être pour rebondir sur
ce que tu viens de dire,
dans le déroulé de cette conférence, il y avait
l’idée de rappeler l’histoire un peu de ce livre.
Derrière ce livre, il y a une lutte
syndicale, effectivement.
Mais comme l’indique le sous-texte,
il y a des pratiques émancipatrices.
Ces pratiques émancipatrices,
on peut les aborder de différents
aspects. Par rapport au fait
qu’elles viennent répondre à
des situations problématiques,
à comment s’exprime le racisme
systémique dans l’espace scolaire,
dans le système scolaire français.
On peut l’aborder sinon
du point de vue des notions
et des outils qui sont mis en place. Je ne sais pas
ce dont tu aimerais parler en premier, par exemple ?
Est-ce que tu te sentirais plus
de parler directement déjà de,
comment s’exprime ce racisme
dans le système scolaire français ?
Alors, comment s’exprime le racisme
dans le système scolaire français ?
Vous avez dix minutes, vous
vous mettez par groupe s’il vous plaît.
Non, alors du coup,
comment dire ?
La race, c’est un rapport social structurant,
multidimensionnelle,
quasi insaisissable et en même
temps quasi omniprésent.
Partant de ça, pour l’espace
scolaire qui est une institution,
dans un État qui a une histoire coloniale,
bien sale, qu’on connaît toustes j’espère,
ou en tout cas je vous invite
à le faire, à faire ce travail-là,
l’école n’en reste pas exempt
du coup, bien au contraire.
C’est une institution qui peut être
un outil politique pour l’État.
C’est un espace de lutte, de conflictualité politique.
Ça implique qu’il y ait autant
les relations entre les gens,
entre les personnes qu’on appelle
la communauté éducative c’est-à-dire
les parents, les élèves,
les personnels de l’éducation,
il y a le contenu pédagogique,
il y a les espaces, comment ils sont aménagés,
il y a le système de sanctions, il y a énormément
de choses qui sont impactées par le racisme.
Moi, je vais commencer. Typiquement,
on va parler des personnes qui ont le
moins de pouvoir à l’école, les enfants.
Le premier truc qui me vient à l’esprit moi, c’est,
en anglais on dirait l’adultification,
c’est la désenfantisation.
Quand on est un enfant racisé,
on est très vite vu, perçu et projeté,
on projette des choses sur les
enfants comme étant des adultes.
Du coup, ça implique qu’il y a une diffé-
renciation dans les modes de sanction.
J’ai l’impression que je suis
en train de tuer l’ambiance.
Mais c’est la réalité du coup.
Il y a cette question-là.
Je regarde mes notes, pardon.
Oh, je sens que tu vas me faire une
passe dé, dans trois, deux… (Rires)
Pour rester sur les plus jeunes,
il y a la question de l’orientation scolaire.
Comment les politiques d’orientation et d’infor-
mation sont souvent peu, pas ou mal pensées
et surtout elles sont énormément biaisées.
Il suffit de faire une photographie.
Qui va aller à Henri IV ou en lycée pro ?
Qui va se retrouver dans des voies,
j’aime pas ce terme de garage, mais pour le
coup ça peut être des voies liées à la mécanique
et c’est intéressant, la mécanique c’est la base.
Qui est surprésenté dans des voies qui
ne sont pas valorisées sociétalement,
et qui se retrouve à avoir le choix ?
Et puis derrière ça, je vais
rebondir sur les parents plutôt.
Comment les parents sont perçus aussi.
Les parents racisés, c’est l’inverse.
Quand t’es parent racisé, tu es infantilisé.
Tu ne sais pas ce que c’est l’école.
Du coup, l’école a tous les droits de t’utiliser
pour encore plus, j’allais presque
dire, reproduire cette domination.
À partir du moment où on est un parent tampon,
comme dit le Front de Mères par exemple, ça va.
Mais à l’inverse, et c’est un chapitre
qu’il y a dans le livre, teaser,
le deuxième ou le troisième, les récits
de lutte des parents d’élèves dans le 93,
Quand les parents racisé·es sont organisé·es,
et qu’iels commencent à se
construire un propos collectif,
un propos collectif qui va à rebours
de la doxa qu’on a à l’école,
un propos qui est au moins questionnant,
pour ne pas dire critique, subversif,
pour ne pas dire carrément contestataire,
là, ça ne va plus du tout.
Du coup, il y a ça.
Je vais revenir à nous, il n’y a pas que les élèves et
les parents mais aussi les personnes qui y travaillent.
Comment ça se passe entre nous, en fait ?
Qui se retrouve au poste de direction ?
Qui se retrouve à avoir la titularisation ?
Et enocre, j’ai un point de vue
situé, moi je suis en Bretagne.
Wiam t’es dans le 93, c’est autre chose et super
intéressant, il y a la question du territoire.
Il n’y a pas que la métropole.
What about Guyane ?
(« Et la Guyane ? »)
Je ne sais pas pourquoi j’ai parti en anglais, mais…
Plus sérieusement, qu’en est-il
de la Guyane ? De Mayotte ?
Qu’en est-il des quartiers ? Du 93 ?
Ce sont toutes ces questions-là,
ces faits-là sont la preuve
matérielle, scientifiquement palpable,
qui font que le racisme est quelque chose
de toujours existant et de systémique.
Je ne sais pas si tu veux rebondir
parce que j’ai un peu soif.
– Justement, ce qui est intéressant,
on part de faits, de chiffres, de choses
que souvent l’État lui-même produit.
C’est-à-dire que régulièrement, par exemple,
la Cour des comptes produit des rapports
qui prouvent que l’école discrimine.
C’est intéressant de voir que l’État lui-même
produit les chiffres de sa propre discrimination,
et d’un autre côté, l’État réprimande
les personnels de l’éducation
qui veulent l’aborder et trouver des solutions.
Cette question de la répression, on va
sûrement revenir dessus encore et encore,
mais elle exprime beaucoup de choses
par rapport à ce racisme systémique.
Elle montre à quel point le système
qui veut se maintenir est conscient,
parce que souvent on a ça de la part des
personnels d’éducation, on a ce truc de dire,
« on ne discrimine pas dans nos classes,
nous on ne voit pas la différence,
on ne voit pas les couleurs, moi je traite
mes élèves de la même manière, etc. »
Soit, mais la réalité c’est qu’en fait,
on ne solutionnera jamais
des problèmes en fermant les yeux.
Le fait de dire je ne vois pas
les couleurs, c’est justement
une manière aussi raciste de dire,
ou en tout cas de manière inconsciente,
de dire bah en fait moi je traite de
la même manière tou·tes mes élèves
alors que je ne vois pas la différence entre elleux,
la différence que le système leur impose
dans cette hiérarchie et dans cette assignation
raciale que le système leur impose,
qu’iels ne choisissent pas, que le système leur impose.
C’est intéressant de se dire que dans
cette volonté d’avoir un traitement égalitaire,
on produit la plus grande des inégalités, parce
qu’on ne part pas de ce que les élèves sont vraiment,
et ça c’est un autre chapitre du livre,
vous avez vu comment
on distille un peu les chapitres du livre ?
(Rires)
C’est Saïd Bouamama qui dit,
qu’il faut partir de ce que les élèves sont réellement,
et non pas de ce qu’on voudrait qu’iels
soient ou de ce qu’iels devraient être.
C’est une question fondamentale dans l’éducation
et comment, nous, on traite nos élèves.
C’est pour ça qu’on a tout de suite
voulu aborder cette question-là,
et que la répression est très forte parce qu’à
partir du moment où on part de ce constat,
on va devoir révolutionner l’école,
on va devoir réinventer l’école.
Comme nous avons beaucoup d’amour pour
nos élèves, c’est pour ça qu’on a écrit ce livre,
qu’on essaie de mettre en place des pratiques
émancipatrices et des pratiques différentes,
au quotidien, dans nos classes,
eh bien, forcément, c’est quelque chose qui fait
peur, parce que c’est quelque chose qui peut
déstabiliser le système qui est en place.
Tout à l’heure,
tu parlais, Steeve, des parents,
en tant qu’enseignant mais pas que,
en tant que personnel d’éducation,
la question de se situer est très importante.
Il faut se situer en tant qu’enseignant·e,
par rapport aux autres enseignant·es,
par rapport aux parents d’élèves,
par rapport aux autres personnels d’éducation, — iels
sont également présent·es au sein d’un établissement —,
par rapport aux élèves et par
rapport au contenu pédagogique.
On en reparlera peut-être à la fin avec la
question des outils, de manière un peu plus concrète.
Mais cette question de pouvoir se situer
et de pouvoir nommer la blanchité à l’école,
elle est intrinsèque à la lutte contre le racisme.
On ne peut pas lutter contre un racisme systémique
si on est aveugle à sa propre blanchité
et aux privilèges qu’on a en tant
que personnes blanches à l’école.
En tant que personnel blanc
de l’éducation, encore plus, à l’école.
C’est pour ça que c’est important.
Je vous parlais de la Cour des comptes,
ce ne sont pas les seuls à produire des chiffres,
les chiffres on en a et c’est important
aussi d’objectiver le racisme
parce que les enseignant·es ou les personnels
d’éducation vont nous dire, en général,
ok vous parlez de racisme mais dans
nos classes on ne voit pas le racisme,
mais le racisme ne s’exprime pas que dans
la classe, ce n’est pas qu’un racisme moral.
Dans le livre, on revient beaucoup sur un antiracisme
politique et sur la question du racisme systémique.
Ce qu’on voit à l’école, et pas qu’à l’école d’ailleurs,
c’est le cas dans l’enseignement supérieur aussi,
c’est la question d’un racisme
interpersonnel, moral, etc.
La semaine de lutte contre
le racisme et l’antisémitisme,
et d’ailleurs c’est intéressant de voir
qu’à chaque fois il y a cette particularité
par rapport à l’antisémitisme, comme si
c’était un racisme particulier, alors que non,
c’est un racisme comme toutes
les autres formes de racisme.
La semaine de lutte contre le
racisme et l’antisémitisme à l’école,
elle ne traite que la question morale.
La question morale étant la
conséquence et non pas la cause,
ce n’est pas l’origine du racisme.
La question du racisme moral, c’est
la conséquence du racisme systémique.
C’est-à-dire que sans racisme systémique,
il n’y aurait pas de racisme moral en réalité.
C’est ce que le racisme systémique permet
dans ses institutions, dans son fonctionnement,
qui découle sur un racisme moral.
Le fait qu’à l’école, on ne traite que la
conséquence mais jamais la cause,
qu’on parle toujours de ce qui en découle
de manière interpersonnelle, les insultes,
les traitements dégradants, etc.
Et pas la discrimination et l’oppression,
parce que le racisme ce n’est
pas que les discriminations.
Le racisme, c’est un système,
c’est un système d’oppression qui
passe par des lois racistes, par exemple.
On pourra parler de la loi 2004, qui est la loi
contre les signes ostentatoires religieux à l’école.
Oups, j’en perds mon carnet.
– Si on pouvait perdre la loi aussi, ce serait pas mal.
(Rires)
Qui est une loi en réalité qui vise le voile. On l’a
vu plus récemment avec la question des abayas,
ou des tenues religieuses, parce qu’on aime
bien utiliser des mots arabes pour faire peur,
mais des tenues religieuses
qui ont concerné,
enfin rappelons que c’était une
dinguerie ce qui s’est passé,
c’est-à-dire qu’on est passé du voile
à la tenue ostentatoire religieuse,
à la tenue par destination
religieuse, c’est-à-dire
qu’une chemise ample ou une jupe un peu
trop longue devenait une tenue religieuse, etc.
Ce qui gênait, ce n’était pas la tenue,
c’était la personne qui portait la tenue.
L’oppression peut aussi passer par la loi,
par quelque chose d’établi et de communément
admis comme étant quelque chose de positif.
La discrimination c’est justement quand la loi,
le traitement n’est pas le même pour tout le monde.
On va dire oui mais la loi de 2004, c’est un
traitement similaire pour tout le monde.
En réalité, ça reste une oppression raciste.
– C’est tellement bien dit que
je ne sais pas quoi dire.
Mais si, je vais quand même dire quelque chose.
Merci beaucoup d’avoir rappelé ce truc-là,
parce que ça pouvait être un peu confus
ce que j’ai commencé à dire sur le rapport
avec les parents et les enfants.
Je pense à deux choses. Je pense
au mot amour que tu as dit tout à l’heure,
que je trouvais très important et
qu’il va falloir qu’on revienne dessus.
C’est important quand même de revenir
sur ça, je vais rajouter une petite couche,
mais ce truc de la loi et du légal, par rapport
au légitime, c’est de l’islamophobie d’État.
Comment veux-tu qu’un pays qui s’est
amusé à faire des dévoilements,
à orchestrer, instrumentaliser
des dévoilements en Algérie,
comment peut-on ne pas penser que ça aurait un rapport
avec le fait d’avoir encore cette même obsession,
d’avoir le contrôle du corps des femmes et
encore plus des corps des femmes racisées.
Mais… L’amour.
Vous n’avez pas… Non mais ce
n’est pas une déclaration, calmez-vous.
Vous n’êtes pas sérieux.
Concentrez-vous un peu là. L’amour.
Dans le livre, je me permets de faire
une passe dé vers une autre partie,
il y a des outils. Ces outils, ils s’ancrent
et se nourrissent par des concepts,
par des idées, par des théories
de personnes arrivées avant nous,
et bien plus malignes que nous,
mais qui en même temps,
elles le sont parce qu’elles utilisent
leurs compétences dans leur champ.
Leur champ, notamment peut-être
dans la recherche ou dans la pédagogie.
Ça a impliqué, par exemple, de poser la question
de comment avoir une pédagogie critique
ou une pédagogie de l’amour ou de l’espoir.
Je pense à deux personnes qui
sont régulièrement citées dans le livre.
D’un côté, bell hooks et de l’autre, Paulo Freire.
Je ne sais pas par lequel commencer, mais
j’allais dire honneur aux dames et honneur à l’amour.
bell hooks, en relisant,
dans une rélecture de Paulo Freire,
tu me dis si je me trompe parce
que du coup, je suis un peu rouillé.
Mais bell hooks, elle nous parle de comment on doit…
bell hooks est une chercheuse,
écrivaine, pédagogue,
décédée maintenant, afro-étatsunienne,
et pas afro-américaine.
a beaucoup travaillé sur les questions de discrimination,
de domination qui touchent les femmes noires,
mais qui a aussi travaillé sur d’autres sujets, par exemple sur
l’amour, sur les relations entre les hommes et les femmes noires,
et également sur l’éducation.
Elle a écrit un livre en 993 qui s’appelle
« Teaching to Transgress »,
— mon anglais est horrible —,
« Apprendre à transgresser », qui a été
miraculeusement traduit en
France il y a quelques années.
Je vous le recommande aussi beaucoup.
Après avoir pris celui-là, prenez
celui-ci dans un second temps.
Dans ce livre, elle parle beaucoup
quand on est un groupe opprimé, et
notamment opprimé par un pouvoir légal,
une discrimination légale, un système direct,
le système ségrégationniste états-unien,
pour les personnes afro-états-uniennes, il y a un enjeu
à avoir une pédagogie émancipatrice,
qui va assumer le fait d’être vulnérable.
Ne pas se positionner comme étant une personne
sachante qui doit remplir des têtes vides.
Mais être une personne qui
garantit un espace où les gens
se sentent non seulement en sécurité,
mais qui peuvent aussi faire preuve de bravoure.
Elle [bell hooks] critique par exemple ce truc
de safe place pour parler de brave place.
C’est super intéressant.
Elle parle de pédagogie de l’amour
dans le sens où elle voit,
j’imagine, une idée
qu’on doit un peu accepter l’affect et
le prendre en compte dans sa pédagogie.
Une pratique de la pédagogie
comme moteur de liberté aussi.
Elle fait une relecture de Paulo Freire, pédagogue
brésilien, qui lui-même travaillait sur ces questions-là,
je dirais dans les années 60-70,
sous le contrôle de personnes lusophones
dans le public. Merci à vous.
Paulo Freire, lui, a travaillé au Brésil pour
les questions de consentisation positique.
L’idée pour lui, c’était de partir
d’une approche dialogique,
par le débat, par le dialogue, par la discussion.
L’idée, c’était de construire…
Pardon, je bug.
L’idée, c’est de co-construire
des espaces avec les personnes
qui étaient en position d’apprentissage,
de construire des espaces où on cons-
truit du savoir en situant les personnes,
en se situant nous, mais
en invitant les gens à se situer
et en assumant cette situation.
Je parlais de consentisation politique,
à partir du vécu des personnes, parce
qu’on est toutes et tous expertes de nos vies,
et ça, personne ne peut nous le retirer.
Et de construire des paroles, des lectures, des
propositions conscientes et collectives politiques.
Je ne sais pas si je me trompe un peu, je ne
prends que des éléments qui me viennent à l’esprit
je vous invite encore une fois, pareil, dernièrement il y a eu
une réédition de son livre « La pédagogie des opprimés ».
Je crois que c’est la troisième personne la plus citée
des sciences d’humanité sociale dans le monde.
« La pédagogie des opprimés »
c’est super intéressant.
Ces outils-là, ces ancrages-là,
ces éléments théoriques, c’est très beau
mais du coup, concrètement, ça donne quoi ?
Ça donne quoi ? Par exemple,
Dans les premiers chapitres [d’Entrer en pédagogie
antiraciste], Karim Bettayeb et Houyem Rebai,
sont tou·tes les deux professeur·es du premier degré.
On oublie souvent le premier degré, mais iels
sont super importantes pour le système scolaire.
Iels proposent plusieurs éléments en partant de ça.
Iels proposent, par exemple,
de travailler sur les représentations
et d’inviter les personnels d’éducation
à valoriser les histoires, les vécus, les mémoires des parents,
notamment venant de l’immigration post-coloniale.
Par exemple, un truc tout bête,
c’était la technique de la carte d’anniversaire.
Votre enfant est né, je ne sais pas, le 2 février.
C’est le même jour que Shakira et Christiane Taubira.
Oui, le rapport est marrant.
Et ainsi de suite.
C’est une porte ouverte à l’idée
d’ouvrir les horizons qui nous
sont un peu restreints
par le discours hégémonique qui est souvent répandu
par les programmes qui nous sont servis par l’école.
C’est proposer des temps où les parents
peuvent venir et parler de leur vécu,
et l’enseignant·e se pose en scribe,
en scripteur et scriptrice
et qui permet de justement travailler
sur ce truc que je disais tout à l’heure,
les parents ne sont pas des enfants qui ne savent
rien de l’école, les parents ont leur place à l’école,
ça s’inscrit même dans le programme
de co-éducation de l’école.
Ce sont des outils comme ça.
Je ne vais pas dire le tien, mais il est trop bien.
Enfin, toi, tu as aussi une approche
super intéressante dans le livre
par rapport à l’antiracisme politique.
Je pense à plein de gens. Je pense à…
Comment iel s’appelle ?
Manel Ben Boubaker.
– Je vais corriger : Karim Bettayeb
et Manel Ben Boubaker.
– Merci.
Désolé pour l’écorchage de nom.
Manel Ben Boubaker est professeure
d’histoire-géographie au lycée (93),
et qui travaille beaucoup sur,
ne serait-ce que sur le calendrier.
Est-ce qu’il n’y a qu’un seul calendrier sur
la planète ou il y en a plusieurs en fait ?
Ça paraît peut-être bête comme
ça, mais c’est super important
d’avoir l’honnêteté intellectuelle,
d’ouvrir ces perspectives-là,
de travailler sur le contenu,
— le temps passe vite —, le contenu des
manuels et avoir donner des outils critiques.
Tout simplement, tu prends un
tableau Excel et tu fais des grilles.
Quel personnage est visible ?
Célèbre ? Fictif ?
Quel personnage semble incarner une autorité ?
Quel personnage semble ne pas incarner
une autorité et être subalterne ?
Sur des questions de racisation.
Bizarrement, ce sont des mecs blancs.
Du coup, on voit moins d’autres histoires.
Il y a aussi un truc de point de vue, je pense.
Typiquement, je vais parler de quelque
chose qui me parle un peu.
Si on arrivait à trouver le temps d’en
parler, des systèmes esclavagistes,
on va parler des abolitionnistes et de 848.
Mais on ne va pas parler du fait
qu’il y a eu deux abolitions,
on ne va pas parler du fait
qu’il y a eu la bataille de Vertières,
où les haïtien·nes ont réussi à exploser les
armées anglaises, espagnoles et françaises,
on va pas parler du marronnage, etc.
Du coup, il y a un truc de…
de recherche, de tâtonnement et
en même temps qui s’ancrent
dans une lecture idéologique de ce que
c’est un espace scolaire qui est politique,
et qui nous engage en fait.
Je ne sais pas si c’est intéressant.
– Pour enchaîner sur les outils, parce que c’est
vrai que le temps passe et autant en parler,
je pense qu’il faut avoir une
approche en deux temps.
Dans un premier temps, une
approche de la conscientisation,
et ça reprend ce que je disais tout
à l’heure sur comment on se situe,
et cette conscientisation doit se faire
non pas dans un objectif de
développement personnel,
parce qu’on entend plein de choses main-
tenant sur le développement personnel,
comment devenir une
meilleure personne, non,
sur un objectif de lutte collective.
Cet objectif de lutte collective,
ça doit être une boussole, vraiment.
Cette consentisation personnelle,
elle se fait de manière collective,
elle se fait avec des espaces
comme celui-ci par exemple.
Il y en a d’autres des outils qui
sont maintenant à disposition,
des choses à lire, il y a des
conférences à aller voir, etc.
Toujours en ayant conscience que cette
question du racisme elle est transversale.
On a souvent tendance à croire que
la question du racisme est optionnelle
et qu’on la range dans le tiroir, on la ressort le
dimanche quand on a cinq minutes entre deux trucs,
et on s’y intéresse un petit peu,
puis après on la range.
Non en fait, ça c’est un privilège de la blanchité.
La question du racisme elle est transversale
et elle est du berceau au cercueil.
C’est-à-dire qu’il faut vraiment
la considérer comme ça,
à l’école par exemple, en tout cas
dans le système éducatif français,
qui prend une très grande partie
de notre temps de vie d’ailleurs,
il faut vraiment le considérer
aussi comme ça,
avec des études qui sont de plus en plus
longues ou en tout cas un temps d’étude
qui est de plus en plus long dans
nos vies, et bien le racisme
il va jalonner ce parcours
dès qu’on rentre dans le système éducatif,
jusqu’à ce qu’on en sorte,
avec soit l’enseignement supérieur ou tous
les parcours de formation qu’on connaît.
Il faut vraiment l’avoir en tête
et savoir ce qu’il se joue.
En tant que personnel de l’éducation,
il faut savoir transmettre ou en tout cas
expliquer quelles sont les règles du jeu.
Et je mets « jeu » avec des guillemets
parce que ce n’est pas drôle du tout.
Il faut le transmettre à nos élèves
en gardant cette optique-là.
Ce que je vais transmettre à mes
élèves, c’est changer la focale
entre cette question du racisme
moral dont on parle tout le temps,
attention, ce n’est pas bien
d’insulter son camarade, etc.
Ok c’est super, il faut le faire,
mais je vais changer la focale et expliquer
ce qu’est le racisme systémique,
et en quoi un échec personnel n’est
pas un échec personnel en réalité,
en quoi c’est un échec collectif parce
que c’est un échec systémique.
En quoi un parcours scolaire raté,
ou considéré comme tel bien sûr,
avec cette question de
l’orientation professionnelle,
qui est considérée comme elle
est considérée à tort par ailleurs,
parce qu’on pourrait la considérer autrement, etc.
Mais on sait toute la charge raciale qu’il
y a sur cette orientation professionnelle,
nous on doit expliquer, on doit
décortiquer en quoi ces échecs,
et encore une fois je mets des guillemets,
ne sont pas des échecs personnels
parce que la méritocratie,
parce que quand on veut on peut, etc.
Parce qu’il y a tout un système derrière,
plein de rouages, de choses mises en place
pour que les choses se passent
comme elles se passent,
parce qu’il faut combler
le marché du travail,
il faut aller chercher dans les quartiers populaires
ce dont on a besoin, la force de travail, etc.
On a besoin que le système
fonctionne comme il fonctionne,
parce qu’on est dans un système
capitaliste, impérialiste, et qu’il faut le dire.
Il faut le dire avec les mots.
C’est hyper important, ça fait
partie de cette conscientisation-là,
qu’on doit avoir de manière personnelle
mais collective en même temps.
Je sais que vous êtes en train de vous
dire mais qu’est-ce qu’elle raconte ?
Mais c’est hyper important de toujours retracer ça
parce qu’on a tendance à individualiser les choses
et c’est dans l’individualisation
qu’on rate les choses.
C’est collectif. Ce sont les outils de
conscientisation qu’on doit mettre en place
quand on sait se situer. Est-ce que je suis
un·e enseignant·e blanc ou blanche ?
Est-ce que je m’adresse à des élèves blancs
ou blanches ou à des élèves non blancs ?
Si je m’adresse à des élèves non
blancs, qu’est-ce que ça implique ?
Qu’est-ce que ça veut dire pour elleux ?
Qu’est-ce que l’école représente pour elleux ?
Comment l’école les traite ? Etc.
Je ne vous dis pas que c’est facile et que
ça se fait comme ça. C’est très difficile.
Mais c’est important parce qu’à partir du moment
où on se situe, où on a cette conscientisation-là,
on débloque des choses et on permet des choses.
Il y a plein de choses dont il faudrait parler
mais il nous faudrait une soirée.
Vous êtes chauds ? On fait
une nuit blanche à Rennes 2 ?
– Allez, ça part !
(Rires)
La question de la sanction,
les conseils de discipline, ça ouvre…
À travers ça, ça permet de conscientiser
comment le racisme opère au quotidien à l’école.
Une des questions hyper importantes,
une des formes de racisme
prégnante à l’école aujourd’hui,
c’est la question de l’islamophobie.
Comment la laïcité elle est dévoyée à des fins
d’islamophobie de manière quotidienne à l’école.
C’est un des exemples indéniables
du racisme systémique à l’école.
S’il y a des questions sur ce sujet,
posez-moi la question s’il vous plaît, comme
ça je pourrais avoir le temps de vous en parler.
L’autre partie des outils, maintenant qu’on a parlé
des outils de conscientisation collective, etc.
Et de mobilisation, parce que ça va ensemble,
de mobilisation de lutte collective.
On parle de la question des outils
concrets, pédagogiques, etc.
Dans la conscientisation collective, il y a donc
les rapports dont je vous parlais tout à l’heure,
c’est-à-dire le personnel d’éducation, comment il va
fonctionner avec les autres personnels d’éducation,
avec les parents, et donc c’est pour ça que
cette conscientisation est aussi importante.
Parce que la question des parents démissionnaires,
qui revient tout le temps, et t’en a parlé Steeve,
mais c’est une question qu’on doit
déconstruire, parce que si les parents
sont considéré·es comme démissionnaires, c’est peut-être
à cause du système en place pour qu’iels le soient.
On ne parle pas des cas particuliers, etc.
On parle de système, c’est pour ça que
souvent les gens vont sortir un
exemple, iels vont dire « oui mais »
moi je te parle d’un système et de comment les choses sont
construites, installées, établies pour fonctionner comme ça.
Et comment les personnels de l’éducation
fonctionnent avec les élèves, etc.
Il y a le système. Ensuite, il y a
les outils concrets pédagogiques pour
que dans notre pédagogie,
dans notre manière d’enseigner,
on ne collabore pas à un système qui
produit des épistémicides quotidiennement.
– Est-ce que vous savez ce
que c’est que les épistémicides ?
– Alors, levez la main les gens qui ne savent pas.
– Les épistémicides,
c’est la manière dont le savoir est considéré
est considéré comme uniquement occidental,
le savoir valable, le savoir scientifique, etc.
Comment on a tué toutes les
autres formes de savoir.
Comment on a fait en sorte que le seul savoir
qui vaut la peine, c’est le savoir occidental,
et comment tout le reste, donc le
savoir blanc, et le savoir non-blanc,
il est considéré comme des
légendes, des fables, etc.
Ou comment on ne l’a pas transmis,
de sorte à mettre en avant
des savoirs non occidentaux qui sont
tout à fait légitimes, valables, etc.
Je ne l’ai pas très bien expliqué,
mais vous irez voir, il y a plein
de choses sur les épistémicides.
Dans le livre, on a un chapitre…
– Je peux me permettre d’intervenir ?
– Oui vas-y, bien sûr.
– C’est un peu trash, mais
faites un lien avec génocide.
Après avoir tué un peuple, la meilleure
manière de le tuer, c’est de tuer sa culture.
Épistémicide, génocide.
– Très bien, merci Steeve.
J’allais en parler dans un chapitre
de Yann Renoult, dans le livre
sur les ethnomathématiques.
C’est expliqué comment le terme
épistémicide, avec le suffixe « -cide »,
montre que c’est comment on a tué, comment
on essaie d’éradiquer les savoirs non-Blancs.
Effectivement, ça accompagne souvent les génocides.
Pour faire disparaître un peuple, on fait disparaître sa culture,
après avoir bien sûr exterminé les gens.
Les ethnomathématiques c’est une
manière d’enseigner les mathématiques
avec une approche ethnologique.
Vous irez voir dans le livre, je suis plutôt littéraire,
les maths ce n’est pas trop mon truc mais…
Comment on peut enseigner les maths d’une
autre manière, il explique dans le chapitre
iels vont chercher la vision des
mathématiques par le peuple les Incas.
Quelle vision avaient les Incas
des mathématiques,
qui n’étaient pas une vision
européocentrée, blanche, occidentale, etc.
Ça, c’est hyper intéressant, par exemple. C’est
un outil concret de comment on décentre la chose
et comment on redonne une légitimité à
des savoirs qui ne sont pas occidentaux.
Il y a plein d’autres choses. Tu as parlé
de l’histoire-géographiqe, mais en anglais aussi,
comment on déconstruit 492, la découverte
de l’Amérique, Christophe Colomb, etc.
Comment on enseigne autre chose que
le récit national ? Comment on sort de ça ?
Comment on montre aux élèves
qu’il y a d’autres savoirs
et comment une histoire se construit,
parfois dans l’intérêt d’un dominant
parce que c’est comme ça qu’on
maintient cette domination-là.
C’est intéressant parce que les élèves
nous disent mais on nous a menti !
Ça développe leurs critiques, leurs analyses, etc.
On est tout le temps en train de
parler des fake news et compagnie,
commençons par celles-ci, installées et établies
dans nos programmes, dans nos livres d’histoire, etc.
Ce sont des outils très concrets de
comment on peut enseigner différemment,
comment on peut faire un pas de côté
et enseigner différemment aux élèves.
Il faut les construire parce qu’évidemment les
programmes eux-mêmes, les livres en général,
parce que moi je suis professeure d’anglais par exemple,
c’est la même chose, on a des programmes sur certains trucs.
Comment on peut en tant
qu’enseignant·es faire un pas de côté ?
On peut partir de ces programmes-là,
Tout en installant une analyse critique de
ce qui est enseigné aujourd’hui à l’école.
– Applaudissons-la, applaudissons-nous.
[Applaudissements]
Non, applaudissez surtout ce travail.
– Je peux rajouter un mot sur
les luttes collectives ?
Tout à l’heure, je vous parlais de la
conscientisation et des luttes collectives.
Dans ce qu’on enseigne, on a souvent tendance
à mettre en avant des héros ou des héroïnes,
très lisses qui sont sortis de la lutte collective.
Par exemple Rosa Parks, aujourd’hui.
On nous dit « mais tu devrais être contente,
Rosa Parks est une femme racisée. »
Je réponds oui mais ok, vous avez
sorti Rosa Parks de la lutte collective
qui a été menée par exemple pour
les mouvements des droits civiques,
en sachant qu’avant elle il y avait Claudette
Colvin par exemple et qu’on n’en parle pas,
parce qu’on aime bien faire du colorisme et qu’elle était
un peu plus noire que Rosa Parks donc ça passait pas.
Et qu’en plus elle était enceinte à l’époque, enfin
bon voilà je vais pas rentrer dans tous les détails
mais en tout cas on aime bien
sortir des figures comme ça,
qu’on va lisser par ailleurs,
par exemple Martin Luther King,
on l’a dépossédé de sa radicalité pour en faire
un personnage lisse et accepté aujourd’hui,
et on a invisibilisé Malcolm X parce que lui
c’était trop radical, c’était la violence,
et comment on a sorti des têtes en
les dépossédant un, de leur radicalité
et deux, de la lutte collective.
Si on doit finir sur un mot,
mais après je te laisse rester finir,
c’est comment on doit se réinscrire dans
une radicalité, et c’est important de le dire,
et dans une lutte collective. Sans lutte
collective, on n’arrivera jamais à rien.
[Applaudissements]
– Qu’est-ce que tu veux que je dise après ça ?
Non, c’est top, il faut éviter la starification.
Mais en parlant de collectif, on va
peut-être ouvrir la parole du coup.
Transition vers ça peut-être ?
Est-ce qu’il y a des personnes
qui seraient intéressé·es ?
Messieurs, dames et non-binaires,
parmi vous toustes,
il y a une main devant nous,
deux mains devant nous,
trois mains devant nous.
– C’est les enchères ! (Rires)
– Je passe le micro ici.
La consigne, entre guillemets, on va
prendre les trois premières questions.
– Il y avait une personne juste là,
vous en premier, vous en second,
et en troisième, une personne que
je connais un peu bien là-bas.
Est-ce qu’il y a d’autres questions ?
On va en prendre plusieurs d’un coup.
Iels vont répondre et on reprendra,
comme ça, ça évite…
Est-ce qu’il y a d’autres questions que…
Oui ? Je vous passe le micro, donc…
– Je peux y aller ?
D’abord, je trouve ça assez jouissif d’écouter des
personnes parler d’un sujet important avec maîtrise.
Vous êtes face à un public qui est d’accord avec vous,
mais vous réussissez à apporter une réflexion complexe
que tout le monde n’a pas forcément
intellectualisée. Merci pour ça.
Ma question est sur la désinfantilisation.
J’ai la notion de parentification
d’un enfant, mais je n’ai pas encore la deuxième.
– Merci pour la présentation.
J’ai deux questions, à vrai dire.
Mais d’abord, je voulais juste faire
un commentaire sur le mot épistémicide.
L’épistémicide que les français·es
font très souvent, c’est le mot « américain ».
C’est de nous retirer notre identité
d’américain non états-uniens,
alors qu’on a bel et bien le mot états-uniens,
comme on peut dire brésilien, argentin, voilà.
Ça, c’est une forme d’épistémicide duquel
je suis victime pratiquement tous les jours.
en tant qu’américaine, non états-unienne.
Sur les idées des pratiques émancipatrices,
vous avez cité bell hooks et Paulo Freire.
bell hooks est une femme noire états-unienne, et
Paulo Freire, je ne le critique pas, je l’adore vraiment,
mais c’est quand même un homme blanc,
soyons clairs, un homme du
Sud global, mais un homme blanc.
La première question, c’est s’il y a eu
d’autres personnalités du Sud global racisé,
telles qu’Amílcar Cabral,
né en Guinée-Bissau,
un théoricien excellent, qui travaille énormément
sur la question de l’éducation émancipatrice,
surtout pendant les indépendances
du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau.
Vous avez cité des noms, mais je ne savais pas
si c’était des professeur·es ou des théoricien·nes.
Je ne sais pas si ça a été dit.
C’est la première question, la
deuxième concerne l’islamophobie,
je suis tout à fait d’accord, ce qui se passe
dans les établissements scolaires, c’est horrible.
Mais on en parle beaucoup, en tant
que professeure de portugais,
je parle beaucoup aussi de la glottophobie,
c’est la discrimination linguistique
des étudiant·es immigré·es
qui arrivent surtout quand iels sont racisé·es.
Iels ne maîtrisent pas le français.
Il y a une vraie difficulté quand
j’ai travaillé au collège-lycée,
on m’envoyait les étudiant·es
lusophones, originaires du portugais.
Iels avaient énormément de mal,
surtout avec les professeur·es de français.
Parce qu’iels étaient vus comme
quelqu’un·e d’incompétent·e,
qu’iels n’étaient pas capable de maîtriser la langue,
puisqu’iels ne parlaient pas le français comme demandé.
C’est plutôt une curiosité pour savoir
sur cette question de la glottophobie,
et quel·les sont les auteur·rices du Sud
global racisé, les références bibliographiques.
Je vais lire votre livre, merci
beaucoup pour cette initiative.
– C’est moins une question qu’une réflexion qui m’est
venue quand vous parliez également d’épistémicide.
Je me suis demandé aussi comment…
Effectivement, vous avez parlé du fait que vous êtes
souvent soumis et soumise aux manuels scolaires,
concrètement, et que comment
on peut dépasser cette chose-là.
Ça m’a fait penser à ce que dit une écrivaine,
Chimamanda Ngozi Adichie,
dans une conférence qui s’appelait
« Les dangers de l’histoire unique »,
qui parle justement d’une des façons de se
décoloniser, c’est décoloniser les imaginaires.
J’ai pensé très concrètement à…
Vous parliez d’histoire-géo, moi j’ai passé mon…
Tous et toutes, on a passé toutes nos scolarités à se dire que
les personnes racisées étaient absentes de l’histoire française.
Par exemple, pour la première et la seconde
guerre mondiale, j’étais persuadé que…
que mes ancêtres n’avaient
rien à voir avec cette histoire.
J’avais une professeure de français,
pas d’histoire-géo du tout en plus,
en troisième qui nous a emmené voir le film
« Indigènes »avec notamment Jamel Debbouze,
en l’occurrence sur les tirailleurs nord-africains,
et tout à coup ça m’a ouvert au fait qu’il y avait
également des tirailleurs africains, nord-africains
d’Afrique subsaharienne. Ah d’accord,
la colonisation ! Dans toute ma scolarité,
ce qui concernait la colonisation,
c’était l’esclavage par exemple
après on nous a parlé de la
décolonisation en un cours,
on nous a filé toutes les dates
de décolonisation et c’est tout.
Cette professeure, en nous
emmenant voir une œuvre d’art,
elle a décolonisé notre imaginaire.
Est-ce que, bon je prône pour
mon domaine professionnel, mais
par l’art, par des œuvres, on peut
ouvrir l’imaginaire et offrir d’autres récits
aux élèves aussi, d’autres récits ?
Voilà.
– J’aimerais presque envie qu’on
applaudisse les trois questions déjà.
[Applaudissements]
Chifoumi ?
(Rires)
Je commence. En premier,
merci pour cette question sur la…
la désenfantisation, voilà. Merci.
La désenfantisation.
C’est abordé dans le livre,
avec notamment je pense,
peut-être pas avec le même terme,
mais par Nacira Guénif-Souilamas.
Je l’ai aussi vu dans un livre
de Fatima Ouassak, lors de la première
session avec le Front de Mères.
Dans son livre « La puissance
des mères » c’est un peu abordé.
Je ne sais pas quel élément je pourrais
vous donner à part vous inviter
à vous le procurer ou faire des recherches.
Mais l’idée c’est,
toute la violence que ça
implique d’être désenfantisé,
et comment ça peut s’exprimer sur des faits,
qui sont plus ou moins bien relayés par les médias.
Je pense à cette fois où on avait des
enfants comme ça, genoux à terre.
Iels étaient genoux à terre comme ça,
mis contre le mur pendant des heures.
– On a même la mise en situation.
– T’as vu ça.
Acting studio.
Ça m’est revenu dernièrement,
avec cette question de la laïcité
il y a une surveillance accrue des enfants.
Il y a des enfants qui posent juste des
questions, contestent ou genre rigolent
et très vite on met la police dans la boucle,
on les emmène au commissariat.
On va dire que Ségolène nous dira « oh,
bah ça leur fera un petit tour et une leçon. »
Du coup je pense qu’il y a un peu tout ça…
En fait derrière la désenfantisation,
le fait de les traiter comme des adultes,
S’iels sont traité·es comme des adultes raci-
sé·es, iels sont juste déshumanisés, en fait.
C’est surtout ça. C’est un terme pour
aller vers un autre, c’est la déshumanisation.
C’est intéressant comme terme parce que ça montre,
ça spécifie par quel biais, par
quel outil, comment est-ce que
c’est même justifié en face, en fait. Mais voilà,
je ne sais pas si tu veux peut-être rebondir.
– Ouais, en fait, si on part du principe que
ce processus-là, c’est d’ôter
aux enfants leur qualité d’enfant,
et de considérer les enfants non-
blancs ne sont pas des enfants,
et qu’en fait, on peut les traiter
comme on traiterait des adultes,
et iels ont moins le droit à l’erreur,
le droit d’essayer des choses,
le droit de critiquer des choses, le droit
à la parole, etc., que les autres enfants.
Par exemple, Marwan Mohammed et Abdellali
Hajjat dans leur livre sur l’islamophobie,
iels expliquent que l’islamophobie, c’est une forme
de racisme qui ne concerne pas la religion.
Il faut être clair. Tout comme
quand on dit blanc, etc.
On ne parle pas de couleur de peau.
On parle de construction.
Quand on parle d’islamophobie, souvent
les gens nous disent que c’est la religion.
Non, c’est une forme de racisme à part entière.
Elleux nous expliquent que l’islamophobie,
c’est la construction du problème musulman
et que la solution considérée à ce problème,
c’est de rendre dociles les corps et les esprits.
pour régler ce problème-là,
le problème musulman,
qui va être construit comme
un ennemi de l’intérieur,
il faut rendre docile les corps et les esprits.
C’est un peu la même chose
pour la désenfantisation,
c’est-à-dire que comme on ne considère plus
les enfants non-blancs comme des enfants,
on peut les rendre dociles de n’importe quelle
manière, iels vont tout de suite être soumis·e
à des traitements tout de suite radicaux.
Je parlais de radicalité tout à l’heure
qui était positive, là ce n’est pas positif.
Ça donne lieu à des situations très concrètes.
Comme par exemple un enfant de 8 ans,
qui dit un truc à l’école et qui est convoqué
directement au commissariat pour
apologie du terrorisme.
C’est un exemple, vous pouvez
le trouver sur Internet.
Comment ?
Bien sûr. On ne considère plus les enfants
non-blancs comme des enfants
on peut leur donner le traitement tout de
suite, le max de ce qu’on pourrait faire.
Souvent ça prend des proportions
en dehors de l’école.
C’est-à-dire que souvent ce sont des choses
qui se passent dans le cadre de l’école,
un cadre qui est censé permettre
l’enseignement aux enfants,
l’éducation justement,
c’est-à-dire éduquer les enfants,
donc de recueillir leurs paroles et de partir de
là pour développer une analyse critique, etc.
On partirait de ça.
Or, on remarque que les enfants non-
blancs, iels n’ont pas le droit à ça.
Iels n’ont pas le droit, le privilège
de pouvoir exprimer leur pensée
comme iels le souhaiteraient,
pour ensuite avoir une discussion avec
le·la professeur·e ou avec les camarades,
ou un débat en classe. Ça, ça n’existe pas.
J’ai donné l’exemple de l’apologie du terrorisme-là,
d’un enfant de 8 ans qui s’appelait Ahmed à l’époque,
enfin qui s’appelle toujours Ahmed j’espère pour lui,
qu’il est toujours bien là j’espère.
C’est quelque chose qu’on retrouve très souvent,
je parlais de la question de la sanction
tout à l’heure, on la retrouve là aussi,
et qu’on retrouve dès le plus jeune âge.
Je vous parlais du berceau à la tombe,
ça a aussi donné lieu, je ne sais pas
si vous en avez entendu parler.
À Nice, des enfants de 3-4 ans jouent dans la cour,
iels jouent dans la cour,
et qui sont signalés comme
faisant une prière dans la cour,
et pareil, qui sont sanctionnés derrière.
L’affaire prend une ampleur de dingue,
avec [Christian] Estrosi qui s’en empare,
Pap Ndiaye aussi,
ils disent qu’il faut agir avec fermeté et condamner
des enfants qui jouent à la prière dans la cour.
Ça c’est un deuxième exemple,
je peux vous en citer 50.
Je peux vous citer au lycée un élève qui court
dans les couloirs, qui rigole, etc.
Il ouvre une porte, il dit « Allahu akbar », il
est mort de rire, il ferme la porte, il part.
Il est tout de suite convoqué,
il a un conseil de discipline pour apologie
du terrorisme et on lui met une fiche S.
Vous voyez les proportions que
ça prend, c’est-à-dire qu’en fait,
ça dépasse le cadre scolaire
et on est tout de suite dans quelque chose
qui relève d’une répression systémique.
Bien sûr, tous les élèves dont je vous
parle, ce sont des élèves non-Blancs.
C’étaient toujours des traitements différenciés.
Je peux continuer encore sur les
exemples, mais c’est ça en fait,
de retirer aux enfants non-Blancs
leur qualité d’enfant.
Je peux vous parler aussi des minutes de silence.
Quand il y a eu les attentats Charlie Hebdo,
il y a eu des minutes de silence imposées,
très souvent il n’y avait pas
de discussion, c’est-à-dire
ce sont quand même des choses
traumatisantes pour tout le monde.
On a imposé une minute de silence
sans qu’on puisse avoir une discussion
apaisée sur ce qui s’était passé, etc.
Parce que c’était impossible,
le contexte ne le permettait pas.
N’importe quel élève qui rigolait,
qui regardait ailleurs, qui bavardait,
tou·tes les élèves non-Blancs
ont été sanctionnés,
mais ça allait même jusqu’à des
exclusions d’établissements.
Par rapport à ça, parce qu’on rigolait
pendant une minute de silence.
Encore une fois, j’aurais plein
d’exemples à vous citer, mais
en tout cas c’est ça pour répondre
à la question de la désenfantisation,
ou comment on retire aux enfants
non-Blancs, leur qualité d’enfant en fait.
– Je n’aurais pas mieux rebondi
sur… c’est parfait.
– Et peut-être, parce que j’ai
beaucoup parlé d’islamophobie,
mais il y a d’autres sujets où
cette désenfantisation opère.
Un autre exemple, parce que ça me vient
en tête, c’est la question des expulsions.
Par exemple, les enfants roms
ou les enfants en situation irrégulière,
on peut se permettre de venir les chercher en
classe et de les expulser de leur établissement,
alors même que l’école est
obligatoire jusqu’à 6 ans,
alors même que tous les enfants
ont le droit à l’éducation
et ont le droit d’aller à l’école,
ces enfants-là, on peut…
en plus ce sont des cérémonies
d’humiliation, les gendarmes viennent,
ce sont les forces de police qui
viennent les sortir de classe, etc.
parce qu’iels sont en situation irrégulière
ou parce qu’iels n’ont pas
d’adresse de domiciliation, etc.
D’ailleurs, il faudrait en parler aussi de
la domiciliation et des enfants roms,
c’est encore un autre grand chapitre. Parce
qu’aujourd’hui, il faut savoir qu’en France,
l’école est obligatoire jusqu’à 6 ans, mais sans adresse
de domiciliation, vous ne pouvez pas aller à l’école.
C’est tout le paradoxe, ou
pas d’ailleurs, de ce système.
– De ouf. Peut-être qu’on peut
passer à la deuxième question ?
De ce que j’ai compris, il y avait l’enjeu
de réfléchir et de peut-être même fournir
des pistes sur des auteur·rices du Sud global,
si je ne m’abuse…
Et non-Blancs.
Paulo Freire est un homme blanc.
Honnêtement, je sèche un peu je t’avoue.
Je ne peux pas m’empêcher de me dire que je pense
qu’il y a au moins une personne qui en parle dans le livre.
Attention, j’ai la souffleuse qui va nous le dire.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à
à Fania Noël, qui travaille beaucoup
sur les féminisme noirs par exemple,
d’origine haïtienne, qui a écrit un livre
« Dix questions sur les Féminismes Noirs ».
Peut-être explorer du côté de l’Amérique du Sud…
Non zut, pardon, de Abya Yala,
pas l’Amérique du Sud, pardon.
Enfin, je ne sais pas quel est le terme le
plus approprié pour cette zone géographique.
Je pense au groupe Modernité/Colonialité (M/C)
qui ont lancé un peu les pensées décoloniales.
Mais après, à voir si ce sont…
– Tout à l’heure, je vous citais
le chapitre sur les ethno-mathématiques, etc.
là, il y a énormément d’auteur·rices
non-Blancs qui sont cités.
Amílcar Cabral aussi,
bien sûr, est cité dans le livre.
Il y en a beaucoup, ce serait long d’aller
chercher tou·tes celleux qui sont cité·es.
Après, c’est vrai qu’il faut se le dire,
il y a aussi une espèce de focalisation
étatsunienne, sur des auteurs ou autrices
qui auraient écrit sur ces sujets-là.
Mais justement, dans ces outils
de pédagogie émancipatrice,
le but, c’est d’aller chercher des auteurs,
autrices et sachants non-Blancs.
Il y a des égyptiens et égyptiennes
qui sont citées, par exemple, dans le livre.
Je n’ai pas tous les noms
en tête, mais il y en a.
– Il faut acheter le livre en fait…
(Rires)
– On ne va pas tout vous dire quand même !
(Rires)
– Ou l’emprunter.
J’espère que c’est assez satisfaisant comme réponse.
– Pour répondre à ta question, les noms qu’on a
cités tout à l’heure, ce sont des enseignant·es.
On est plusieurs enseignant·es à avoir écrit,
à avoir coordonné l’ouvrage d’une part,
à avoir écrit nos articles dedans, d’autre part.
Houyem Rebai, Karim Bettayeb,
Manel Ben Boubaker.
Ce sont des enseignant·es qui font partie de la
commission antiraciste [de SUD Éducation 93].
– Troisième question peut-être ?
– Il y avait la question de la glottophobie.
– Ah oui.
– Pour moi, ça fait partie
du racisme systémique.
La question de la langue, elle est
intrinsèque au racisme systémique
et la discrimination autour de la langue, bien
sûr qu’elle existe et qu’elle est pregnante,
notamment dans l’éducation. Comme
par exemple, souvent on entend dire que
que des enfants bilingues,
mais français-arabe par exemple,
ça a retardé l’enfant dans son apprentissage
parce que c’est compliqué, voilà.
Qu’un enfant qui parle la langue
chinoise à la maison,
c’est difficile, il ne parle pas très
bien et maîtrise mal le français,
on entend beaucoup ces arguments-là, alors que
quand on a des enfants bilingues anglais-français,
c’est quelque chose qui a permis à l’enfant de
développer ses compétences langagières, etc.
Bien sûr, qu’il y a une question
de la discrimination,
et de non-valorisation de
ce capital culturel riche
qui en réalité devrait être valorisé et mis en avant.
Ce n’est pas le cas, bien sûr. Mais il faut le réins-
crire globalement dans ce racisme systémique-là,
parce que la glottophobie, ce n’est pas
un racisme en soit, ça fait partie
des mécanismes du racisme systémique.
Je pense que c’est intéressant de l’avoir en tête.
Comment on traite les élèves allophones,
comment le système éducatif français
traite les enfants qui ne parlent pas
le français en langue maternelle.
– C’est intéressant de rappeler
comment ça s’inscrit dans le racisme
si on reprend un peu les 26 critères de la dis-
crimination, il y a aussi maintenant la langue,
comme la domiciliation, la nationalité…
– La religion.
– Comme la religion,
supposée ou réelle.
Ce sont des outils qui nous permettent
de pouvoir utiliser l’État contre…
d’utiliser la justice contre des injustices.
Il y a quand même un enjeu où
ça peut aussi avoir un aspect un peu dépolitisant.
C’est intéressant de la relier avec
des oppressions systémiques
et voir comment on peut les relier après avec les
outils de lutte contre ces oppressions systémiques.
Mais merci pour cette question.
La langue, c’est fondamental.
La troisième question, pardon.
Ça va, c’était pas trop pourri comme…
On est validé·es !
C’était une réflexion sur l’imaginaire,
c’était super intéressant après.
C’est vrai que pour le coup, il y a un peu
un enjeu où moi personnellement,
j’aime bien utiliser par exemple l’image
comme outil pour avoir des discussions.
Et tout de suite…
C’est super intéressant de parler
d’épistémicide ou de colonialité.
Mais ce n’est pas forcément agréable, selon
le rapport qu’on peut avoir avec la langue,
ou avec l’écrit, ou avec le verbal.
Parfois, on peut utiliser d’autres outils qui
sont des outils de pratiques artistiques.
Des pratiques artistiques comme
le fait d’aller voir un film,
de danser, d’écouter de la musique.
Ça joue en fait sur les manières dont
on peut atteindre les gens et les utiliser,
pour après construire quelque chose collectivement
de critique par rapport au racisme systémique.
Aller voir le film « Indigènes »,
le film « The Woman King »,
je ne sais pas même « Kirikou » s’il le faut,
utiliser ces outils-là, ces éléments culturels
qui sont situés, qui sont loin d’être parfaits
— j’ai cité à dessein Kirikou —,
pour ensuite avoir une discussion.
Et ouvrir les imaginaires, les questionner et
questionner d’ailleurs, qui a réalisé le film ?
Qui fait les voix ? Comment sont re-
présentés les personnages ? Etc.
On joue ça comme ça.
– J’aurais insisté sur l’analyse
critique après Kirikou effectivement !
(Rires)
Je pense que la question de la décolo-
nisation des imaginaires, elle est primordiale,
surtout quand l’école s’attelle
à construire cet imaginaire-là,
ou en tout cas à le cadrer beaucoup.
C’est une question centrale. La culture
a un rôle essentiel à jouer dans ça.
Je ne dis pas ça parce que je suis liée
à la culture dans ma ville, pas du tout.
Mais vraiment, je pense que c’est fondamental.
Je vais parler d’un truc beaucoup
plus terre-à-terre et concret, désolée,
en tant que professeur·es, qui enseignons
dans un système qui produit du racisme,
il est important et pertinent des fois,
qu’on ne soit pas toujours la personne
par qui la parole passe
et que parfois, on mette les élèves
devant des outils culturels, artistiques, etc.
qui permettent que ce soit pas le·la pro-
fesseur·e qui soit toujours mis en avant,
mais au contraire, que le savoir vienne d’ailleurs.
Je pense que c’est hyper intéressant.
Toujours avoir cette analyse critique
parce qu’effectivement on va être
très confrontés à des productions
et créations occidentales,
européano-centrées énormément,
même quand ça parle de sujets qui ne le sont pas.
Tout le temps avoir ce truc d’analyse critique,
et de relier ça à un monde construit sur un
capitalisme et un impérialisme qui sont fondateurs.
Toujours relier ça au monde dans lequel on vit,
comment ça s’est construit par ce monde-là.
Ça me fait penser aussi au manuel scolaire
parce que dans le livre il y a une chercheuse,
par rapport à cette analyse critique,
qui a travaillé sur une fiche
où en fait dans le manuel scolaire on
compte le nombre de personnes,
donc en fait elle a développé tout un tas d’items,
combien de personnes non
blanches il y a dans le livre ?
Comment on en parle ?
Qu’est-ce qu’elles disent ?
Est-ce qu’elles sont des sujets
parlants ou des sujets parlés ?
Est-ce que c’est de l’esclavage
et comment on en parle ?
Qui on montre ? Etc.
Je pense que ça contribue à forger un
imaginaire, qu’il faut décoloniser après.
Mais tout à fait.
– Une autre série de questions ?
Je vois une main qui s’agite là-bas !
– On voit des mains qui hésitent,
ça se lève et ça se rebaisse.
N’hésitez pas ! (Rires)
Du coup, il y a une autre question en bas là, je crois.
– Je répète ce qui a été dit par Sarah.
On vous invite à essayer d’être les plus synthétiques
possibles, pour qu’il y ait le plus de questions.
– Merci…
– Pour que nous, on ne le soit pas derrière ! (Rires)
– On va essayer !
J’aimerais apporter quelque chose,
à la réflexion décoloniale.
Après, on peut en reparler.
Je vous invite à aller voir,
sur Internet, le CESIK.
C’est un projet du centre éducatif bilingue
de l’Organisation Indépendante Totonaque.
Voilà, on a été confrontés justement
j’ai participé comme bénévole là-bas,
à cette réflexion sur cette histoire
universelle eurocentrée,
que les colons nous ont imposés
dans le reste du monde.
On a commencé à la place de la Grèce,
on a commencé par la culture des Totonaques,
et après tous les autres peuples de là-bas,
autour de, entre guillemets, le Mexique,
tous les pays sans position coloniale.
On commencé sur notre
continent et après le reste.
Je veux dire,
c’est un cas pratique, en tant que colons
ce n’est pas le seul cas, il y a d’autres
espaces éducatifs, formels, non formels.
Je vous invite à sortir un peu justement
de l’eurocentrisme et regarder ailleurs,
à se nourrir de toutes ces autres
expériences, mais pas avec
l’extractivisme académique.
Mais plutôt, justement, sortir
de cette suprématie blanche
et pouvoir nous regarder,
non pas avec des lunettes coloniales,
mais comme un partenaire.
S’il y a quelqu’un·e qui parle aussi espagnol,
iel peut être bénévole dans ce projet.
Si vous pouvez soutenir ce projet,
ça peut être super parce que
la plupart des projets indépendants ou auto-
gérés, il n’y a pas beaucoup de soutien, etc.
Je me disais ça aussi pour,
comment on peut aussi faire
face à l’épistémicide.
Cette action, ça peut être quelque chose de concret.
Après, warning
je ne sais pas bien comment
le dire, mais à l’exotisation.
Il y a tellement d’intégrés ici, nous
on produit des bananes, on danse super,
on ne peut pas faire des
productions intellectuelles,
ou les choses qu’on fait sont pris
un peu comme des artisans.
Ça fait que,
c’est une façon d’invisibiliser tous
ces différents projets et expériences
qui sont luttes de résistance.
Parce que nous avons des années de
lutte résistante et d’auto-organisation.
– On peut applaudir pour la résistance ?
[Applaudissements]
– Merci d’avoir dit Abya Yala !
Abya Yala, c’est l’appellation non-coloniale
de ce continent qui a été envahi,
violé, dévasté et appelé Amérique.
On n’est pas ça, on est Abya Yala !
– Vive Abya Yala. Merci beaucoup.
– Salut, Steeve.
– Coucou Georges.
– Ça va ?
– Ça va et toi ?
– Ouais, ça va.
– Tu veux boire un café ? Non je rigole !
Non, c’est gênant. (Rires)
Non, en fait, moi, je vais faire très court.
C’est juste que j’ai deux enfants
dans une école privée.
Je ne vais pas la nommer,
mais j’ai mes deux enfants métis.
Et du coup, en fait, moi,
c’est surtout par rapport au grand. Il a 4 ans.
Dans tout ce que vous avez dit depuis
le début, enfin je suis arrivée à la bourne,
mais enfin, depuis une heure, tout ce
que vous avez dit, c’est exactement ça.
Ce qui est drôle, mais je n’arrive pas à…
On vit les choses sans savoir les exprimer,
en fait. C’est notre quotidien, mon quotidien.
Quand les enfants me disent
des choses, je me dis
au fond de moi il y a une petite voix
qui se retrouve dans ce que vous dites,
qui est exactement ça mais va dire ça au prof,
ce n’est même plus la peine, je suis viré.
Moi ce que j’aimerais savoir c’est…
J’essaie de parler à mes enfants,
le grand,
j’essaie de lui faire comprendre que la
réalité c’est ce que tu es en train de dire.
Mais je ne sais pas comment,
ou quel mot employer,
sous quelle forme, plutôt une
forme artistique, je ne sais pas.
Franchement si j’avais su,
il serait venu avec moi ici.
Malheureusement, je n’y ai pas pensé.
Depuis tout à l’heure, je regarde si c’est
enregistré, parce que j’aimerais bien regarder.
Franchement, je te dis ça avec beaucoup
d’émotion et de chair de poule,
Moi, j’aimerais bien le préserver de ça.
J’aurai aimé qu’à mes 4 ans,
on m’explique tout ça quoi.
Je ne vais pas rentrer dans les
détails, mais pour lui j’aimerais…
Tu vas peut-être pas me répondre tout
de suite, quand on se verra tous les deux.
Mais voilà, j’aimerais bien que…
J’aimerais bien comprendre, savoir comment lui…
Tu vois, comment on fait face à ça avec le petit. Quand
il est entre tes mains, face à toi, tu sais pas comment…
Il t’amène un mot, t’as pas envie d’être d’accord.
Tu sais ce que le fond du mot veut dire,
d’où que ça vient, le pourquoi, du comment.
Et voilà, quoi.
C’est tout.
– Merci pour cette question Georges.
– De rien, Steeve.
(Rires)
– Les familiarités, c’est trop mim’s.
– Il y a une dernière question là-haut
et après, on vous laisse répondre.
Le micro, il est à côté de la régie.
– Je vous remercie beaucoup
d’avoir parlé de l’école.
Je suis là-haut !
Comme un lieu où il y a de
la conflictualité politique.
Ça fait du bien.
Je voulais proposer une question,
une réflexion par analogie.
J’ai été enseignante dans le 93
pendant de longues années,
j’ai participé au stage,
en maternelle, en REP +
(réseau d’éducation prioritaire).
Je me suis un peu bagarrée
contre la pédagogie du couscous,
c’est-à-dire où on exotise les
cultures et en fait on assigne
très fort les enfants à une culture d’origine,
que des collègues leur imposent.
Depuis quelques années,
je suis enseignante spécialisée,
je travaille avec des enfants qui ont des
handicaps visibles moteurs très importants,
et pareil, iels sont assignés fortement
au travers d’actions de sensibilisation
où en fait il s’agit de les présenter
comme des représentant·es du handicap,
avec l’idée que le handicap c’est
bien, auprès des autres enfants.
Comme un espèce de catéchisme
bien pensant, le handicap c’est bien,
les cultures c’est bien.
Et en fait, vous parliez de pédagogie critique,
vous parliez de l’importance d’utiliser
notamment les pratiques artistiques,
pour pouvoir provoquer des con-
versations entre les enfants.
J’aimerais aborder,
c’était une femme blanche mais je trouve son
approche vachement intéressante quand même,
donc je me permets de la citer,
c’est Germaine Tortel
qui proposait des conversations
critiques entre les enfants,
et vraiment de partir des
questionnements des enfants,
pour penser les rapports sociaux
qui sont en jeu à l’école en fait,
voilà, c’était juste ce que je voulais dire.
– Merci beaucoup.
– Il y avait une dernière question-là.
Le pauvre il doit se dire elle ne veut pas me lâcher
depuis tout à l’heure, j’ai baissé ma main. (Rires)
Je ne sais pas si vous voulez quand même la
poser ? On prend le temps vu que le temps tourne.
– OK.
– Suspense, suspense…
– Merci.
J’ai une petite remarque par
rapport à la culture blanche.
Je pense que c’est important
que nous aussi, les Blancs,
on apprenne à connaître nos vraies
histoires qui ne sont pas le roman national.
Le roman national, c’est une des clés
qui nous enferme dans la blanchité.
Ça peut être intéressant de
le déconstruire aussi pour nous,
pour aider à nous décentrer, nous déblanchir.
Et ensuite, c’est par rapport à la
question de la situation du prof,
pour rebondir sur la question d’avant,
c’est quoi la marge de manœuvre
qu’on a par rapport au programme ?
On doit le suivre dans tous les cas ?
On l’aborde quand même ?
Est-ce qu’on doit développer mais
présenter le programme aussi ?
Comment on se place par rapport à ça ?
Merci.
– Super comme question.
Je peux peut-être reciter CESIK,
qui a l’air d’être un espace de production
vraiment intéressante sur l’Abya Yala.
C-E-S-I-K.
Alors les gens à la captation, C-E-S-I-K.
Merci beaucoup.
Je rebondis pour Georges.
Moi, par exemple, je n’ai pas été dans le
privé, mais peut-être que là, je vais un peu…
On est expert de nos vies.
Je suis métis. J’ai 32 ans.
Je ne sais pas si…
Je ne les fait pas.
Je pense que ce n’est pas évident d’avoir
ces discussions-là quand on est ado déjà,
il y a un peu un truc de dialogue
avec les parents qui n’est pas évident.
Mais je pense juste qu’il faut peut-être essayer
de rester ouvert et puis de toute façon,
il y a un peu un truc de…
de questionnement qui se fera
progressivement, quoi qu’il arrive.
Malheureusement, il va probablement
avoir de nombreuses expériences,
comme on l’a décrit un peu, de ces
expériences par rapport à ce racisme.
Après, c’est à toi de voir comment
tu peux être un minimum présent
et un minimum conscient.
Vos expériences sont similaires,
vous êtes tous les deux des hommes noirs,
mais c’est un homme noir d’une
autre époque, qui est light skin.
Je ne sais pas si tu as été
dans le privé comme lui,
mais je pense que c’est quand même cool de
lui montrer que tu peux avoir ces discussions.
Parce que moi, par exemple,
en parallèle, j’ai eu un peu l’inverse.
J’ai moins eu un parent qui voulait essayer de me faire
comprendre à quel point le racisme, c’était systémique
et que ça allait impacter son adolescence.
Et plus un truc de ouais, mais t’inquiètes,
j’arrive pas à croire qu’on
est en train de m’appeler.
Ce que je veux dire, c’est qu’on
pourrait en reparler en plus,
parce qu’on a l’occasion de se
voir dans d’autres projets
super intéressants sur les masculinités
noires et la vulnérabilité, justement.
Mais je pense qu’il y a un truc de…
Sans forcer, un parent qui est capable de
régulièrement avoir ses discussions,
qui est prêt à les faire, je pense
que c’est déjà génial, en fait.
Peut-être que je suis un peu naïf, je ne sais pas.
– Peut-être pour dire un mot sur ça,
je pense que c’est super d’avoir
ces questionnements-là,
parce que ce n’est pas forcément évident.
Et la question de préserver les enfants est centrale.
Contrairement à ce qu’on pense, les parents
non-Blancs aussi aiment leurs enfants.
Et les parents non-Blancs aussi ont à cœur
l’éducation et justement ça donne lieu
à une centralité de l’éducation
et de l’école aussi.
La question de l’école c’est
quelque chose qui est centrale.
dans les vies des personnes non-blanches
et on parle beaucoup de sacrifices,
ce sont des choses dont
on entend beaucoup parler.
Maintenant, je pense qu’on ne pourra pas
préserver les enfants du système
raciste dans lequel iels vivent.
On le sait.
Par ailleurs, les enfants ont
conscience du racisme très tôt.
Je vous le répète, mais je
parlais du berceau au cercueil.
Les enfants, avant même de pouvoir exprimer
des choses, ressentent l’expérience du racisme.
Dès la maternelle, iels vivent dans
leur chair l’expérience du racisme
et c’est quelque chose dont
on ne peut les préserver.
Par contre ce qu’on peut faire effectivement,
c’est décortiquer avec eux le système
raciste dans lequel iels vont vivre,
et je sais qu’on pense que les préserver,
ce n’est pas forcément en parler
de manière un peu cash,
alors que je pense que si, il faut en parler.
Il faut mettre des mots
dessus et que plus tôt on le fait,
plus vite on désamorce des enjeux de
santé mentale hyper important pour la suite,
cette question de la santé
mentale, on la met de côté.
Quand je parle de santé mentale, je ne parle
pas de développement personnel, encore une fois.
La santé mentale, c’est quelque chose
qu’on voit aussi dans les chiffres
les personnes non blanches qu’on interne
aujourd’hui en France, par exemple.
C’est quelque chose dont on ne
parle pas beaucoup, voire pas du tout.
Or, c’est un enjeu de santé
extrêmement important.
Cette santé mentale là,
il y a un enjeu de comment on explique,
je vous parlais des règles du jeu tout à l’heure,
comment on explique aux enfants très tôt
dans quel environnement iels vont évoluer,
et environnement dans tous les sens du terme,
mais aussi dans quel système iels vont évoluer.
Comment on casse le mythe de la méritocratie,
on casse le mythe de l’école, le cocon qui nous
préserve, des violences de la société, etc.
Comment on casse très rapidement ces mythes-là
pour que les enfants comprennent ?
Les enfants, iels ont besoin de
comprendre et de mettre des mots.
Et tout à l’heure, vous avez dit à juste titre,
on vit des choses mais on ne met
pas forcément les mots dessus.
C’est ce décalage souvent qui
nous fait péter un plomb en fait.
C’est comment on arrive à conscientiser,
à théoriser ces choses-là
et à se les expliquer de sorte à se dire
le problème ne vient pas forcément de moi,
j’évolue dans un système qui fait que.
Et ça c’est vraiment hyper important.
D’ailleurs c’est intéressant parce
que dans les stages qu’on fait,
parce que je continue à former
sur la question de l’antiracisme,
on fait une rivière du doute, qui
est un outil d’éducation populaire,
et d’ailleurs je n’ai pas assez parlé d’édu-
cation populaire, mais je pense que c’est
un outil très important aussi pour parler de
ces questions-là de manière un peu tranquille.
On pose la question dans la rivière du
doute, c’est un outil pour amorcer le débat
ce sont les participant·es
qui discutent entre elleux
et qui argumentent de sorte à attirer les
autres vers leur point de vue à elleux.
C’est un débat mouvant où
on bouge dans l’espace
en fonction de si on est d’accord ou pas
avec les arguments qui ont été dits, etc.
Il y a un postulat qu’on fait et on dit :
je suis enseignant·e, j’envoie mon
élève en stage dans une entreprise
mais je sais que cette entreprise
est raciste, qu’est-ce que je fais ?
En tout cas que cette entreprise
a des pratiques racistes avérées, etc.
Est-ce que je l’envoie quand même ou non ?
La plupart des enseignant·es disent :
ah ben non moi je l’envoie pas.
Je l’envoie pas parce que moi,
je le préserve, je protège mon élève.
C’est souvent la première chose qui vient à l’esprit.
Mais dans un contexte où,
par exemple, dans le 93,
la plupart des élèves ne trouvent pas de stage,
c’est une galère, iels sont
refusés systématiquement.
– En Bretagne aussi.
(Rires)
Est-ce qu’on ne le prive pas aussi
d’une opportunité d’avoir un stage ?
Contrairement à certains privilégié·es,
qui vont avoir tout de suite accès
aux stage dans l’entreprise
de papa ou de maman, etc.
Cette question rentre en jeu de
comment on protège les enfants ?
Comment on fait face à un
principe de réalité aussi,
qui est qu’un jour ou l’autre,
iels vont devoir se lancer dans
la vie réelle et faire des choses.
Ce qu’on préconise, il faut
l’envoyer mais avec des clés.
Les clés de compréhension,
les clés d’organisation,
les clés d’interpellation et les clés
de lutte, et de lutte collective.
On n’envoie pas l’enfant au charbon
seul pour mener la lutte, c’est sûr.
Comment on met en place quelque chose
derrière pour que l’enfant ait les clés, les outils
déjà les clés de compréhension d’où
il va, comment ça se passe, etc.,
et les outils derrière pour soit alerter,
soit s’organiser avec les adultes pour mener
quelque chose, s’il y a quelque chose à mener.
Je vous donne cet exemple pour
partir d’une histoire personnelle.
J’ai fait toute ma scolarité dans le 93,
en arrivant au bac,
j’ai eu l’opportunité d’aller en classe
préparatoire aux grandes écoles.
Mon professeur d’histoire,
un professeur blanc,
très gentil, mais très protecteur
un peu dans cet esprit-là,
il me dit tu devrais aller en prépa à Saint-Ouen.
Moi j’avais été prise dans une prépa
dans le 6e arrondissement.
Moi à l’époque j’étais à fond méritocratie et tout,
du haut de mes 7 ans voir 8 ans, je dis mais
non, là il y a une prépa d’excellence et tout,
dans le 6e, waouh !
À Paris !
Et lui me dit non non non, tu vas pas t’y plaire.
Mais il ne m’explique pas pourquoi.
Je n’ai aucune clé de compréhension.
Si ce n’est le truc de me dire mais attends
en fait il croit que je suis pas capable,
mais moi je suis capable,
quand on veut on peut, etc.
En fait je suis allée dans le 6ème,
et j’ai passé les deux pires années de ma vie
en termes de racisme systémique,
dans cette prépa du 6ème.
Mais les pires années de ma vie. C’est là par ailleurs que j’ai conscientisé énormément de choses, etc.
Si on m’avait donné les clés de compréhension,
si on m’avait dit les choses,
si on m’avait expliqué dans quel
système j’allais évoluer, etc.,
je n’aurais pas vécu la même
chose et je le sais aujourd’hui.
C’est pour ça que c’est important
de donner les règles du jeu,
de ce monopoli un peu pipé, aux enfants
non-Blancs dès le plus jeune âge.
Ça va désamorcer la colère,
parce qu’on n’a pas beaucoup parlé de la
colère, mais la colère légitime par ailleurs,
mais ça va faire en sorte que cette colère soit
bénéfique et qu’elle ne soit pas destructrice.
Parce qu’on a beaucoup d’enfants en colère aujourd’hui,
et ça ce sont des enfants qui
vivent le racisme quotidiennement,
et à qui on nie quotidiennement
leur expérience du racisme
en leur disant, bah non, ça n’existe pas, etc.
En tout cas, c’est super
intéressant cette question
et je pense qu’il faut en parler.
Vraiment, je pense qu’il faut en parler
et que des espaces comme ça,
ce sont des espaces très
intéressants pour les ados.
Voilà.
– Merci.
Il nous reste Ultimo Man.
– Sur la question de la marge de manœuvre ?
– Et de la blanchité.
J’avoue que je ne suis pas enseignant.
Mais je peux te dire un truc,
c’est que même en étant pion,
même en étant AED
(assistant d’éducation),
même en étant racisé,
même en étant le seul racisé
queer de mon établissement,
j’arrivais quand même à avoir des espaces
que je trouvais dans les temps informels.
Je vais prendre un point de vue
très non-prof dans le sens où,
ce qui est marrant quand t’es à AED,
t’as les élèves que personne veut avoir.
Quand iels sont en train de manger,
avant qu’iels partent du lycée,
quand iels sont en train de travailler en études
ou quand iels sont exclus de cours, évidemment.
Tout ce que j’ai envie de dire, c’est que,
un peu comme ce truc de créer des espaces,
les outils, comme tu l’as très
bien rappelé, merci beaucoup,
il y a un peu un truc où il
faut construire ces espaces
et les assumer, se tenir prêt
à les saisir quand ils arrivent.
Moi c’était ça que je faisais.
J’avais ma mallette d’outils,
d’éducation politique décoloniale.
Avec ça, quand j’avais un
groupe que de meufs noires,
on a fait un photolangage sur la fétichisation,
sur le rapport avec l’État, sur les
critères de beauté, sur le colorisme.
Quand j’avais que des mecs, à un moment,
on a parlé de comment on gère ses émotions,
c’est quelque chose que l’on voit
dans d’autres espaces,
de comment l’air de rien,
il y a un rapport à nos émotions, on ne nous
permet pas de forcément bien les exprimer,
parce que déjà, comme tu l’as dit, on
ne nous permet pas de les reconnaître
comme étant des situations problématiques.
Derrière, on ne nous permet pas de pouvoir
nous exprimer correctement ou légitimement.
Je ne sais pas, il y a plein de trucs
comme ça, tu sais, genre le…
Je me souviens d’un élève,
on était nombreux·ses, et en fait,
il y avait un moment presque…
J’aime bien essayer de créer une safe place,
comme on dit dans la permanence,
dans l’exclusion, mais c’est compliqué quand toutes
les 5 minutes, quelqu’un·e de vraiment énervé rentre.
Légitimement ou pas, mais souvent légitimement.
Je me souviens de ce moment,
il y a des élèves qui rentrent et commencent
à avoir des propos homophobes.
Déjà, je situe le truc en disant que,
déjà, ça tombe sous le couvert de la loi.
Ensuite, que moi, je suis d’ailleurs concerné,
du coup et que je trouve pas ça très cool.
Ce truc de se situer, comme tu disais,
le fait de l’incarner, au-delà de juste dire
l’homophobie c’est mal, moi en fait je suis gay,
du coup qu’est-ce que tu vas dire en fait ?
Sans dire que j’ai le pouvoir,
du coup je peux te contre-dominer,
c’est plus juste dire, le mettre face à
la limite de ce que cette personne dit.
Après on a fait une frise chronologique.
Sur, c’est quoi l’homophobie en fait ?
C’est quoi la LGBT-phobie ?
C’est quoi surtout les résistances ?
l’histoire du FHAR (Front
homosexuel d’action révolutionnaire),
l’histoire des Gouines rouges,
l’histoire de la lutte contre le VIH,
l’histoire de Stonewall, etc.
Même aller plus loin, et si on va plus loin,
ce sont des catégories binaires qui ont été
imposées par les systèmes européens,
il y avait et il y a encore plein d’endroits où,
on a autre chose que deux genres
assignés à la naissance.
Parfois il y en a trois, cinq,
parfois il y en a plein.
Et voilà.
Tout ça pour dire se tenir prêt
quand t’as des moments,
mais j’imagine que quand t’es prof,
tu as les moments-là à la base.
Tu seras meilleure que moi pour
rebondir sur ça, je pense.
Sur la marge de manœuvre qu’on
a par rapport au programme,
je pense qu’on a une liberté
pédagogique, on l’a encore,
qui a tendance à diminuer à vue d’œil, mais
on a une liberté pédagogique
qui permet quand même
de partir justement d’items qu’on doit aborder.
Mais de les aborder de la manière dont on veut.
C’est important de garder ça parce
qu’il faut que les élèves suivent une trame
et qu’iels aient accès à un contenu
qui est le même pour tout le monde.
Mais il faudrait qu’on fasse ce fameux
pas de côté dont je parlais tout à l’heure
qui est de pouvoir permettre
d’aborder ces questions-là,
ces items-là, sous différents angles,
avec l’histoire du roman
national qu’on critique,
et puis l’autre histoire qu’on ne raconte pas.
De visibiliser les histoires et les
récits qu’on ne raconte pas,
les voix qu’on n’entend jamais,
et de les confronter.
On peut toujours partir de ce
point-là qu’on nous donne,
pour derrière enseigner une analyse critique.
Et ça reste une analyse critique.
Je pense que c’est important de faire ça.
Après, il y a des choses dont
on peut se passer, par exemple,
pour reparler de l’esclavage, toute la
vision misérabiliste de l’esclavage, etc.
Je pense que ça, c’est des choses
dont on peut se passer, et au contraire,
on peut mettre en avant les luttes
collectives, les marronnages,
ces choses dont on ne parle pas, par exemple.
Mais après, le programme,
de toute façon, il est là.
Utilisons-le de sorte à raconter
autre chose que ce que ce
programme-là veut raconter
et que la soi-disant positivité de la
colonisation de la France a apporté,
je ne sais pas trop quoi.
Mais en tout cas, je pense que
c’est important de partir de ça
et on a une marge de manœuvre
qui nous le permet.
Même si la fascisation de la
société fait que de plus en plus
on va voir ces choses-là disparaître et
on voit nos acquis disparaître à vue d’oeil.
Ça c’est sur la marge de manœuvre
et après sur la blanchité et comment
mieux connaître son histoire.
Je voulais vous citer justement la première
ligne du contrat racial de Charles W. Mills
un livre que je vous invite vraiment à lire.
– Lisez-le !
– Qui dit :
« La suprématie blanche est le système politique
qui, sans jamais être nommé, a fait du
monde moderne ce qu’il est aujourd’hui. »
Cette phrase est hyper intéressante.
En tout cas, je vous invite à le lire
et je vous invite aussi à être des « traîtres
à la race », comme c’est dit dans le livre.
Les Blancs, je pense que vous
devez être des traîtres à la race
et que c’est important que vous puissiez
remettre en question la suprématie blanche.
Et voilà, c’est la seule fois où on vous
invitera à être des traîtres, donc profitez-en.
(Rires)
Ensuite, je voulais rebondir sur
ce qui avait été dit plus haut.
Déjà, je voulais vous remercier pour toutes
les ressources que vous avez partagé ce soir,
c’est hyper important et je trouve que c’est
beau d’avoir des espaces collectifs comme ça,
où en fait on a des ressources
qui fusent comme ça,
en disant je vous conseille untel.
C’est trop bien, merci.
Sur l’assignation à la culture et la vision positive,
je voulais revenir sur ça, c’est important et
c’est quelque chose que l’on voit beaucoup
comme étant une solution au racisme.
Alors que ces pratiques-là en
elles-mêmes, elles sont racistes.
C’est important de questionner.
Par exemple, la négrophobie,
puis après on dit on a la négrophilie.
De dire par exemple, oui mais les Noirs,
iels dansent bien et courent vite, etc.
qui sont le pendant raciste
de ces assignations-là.
Il faut faire attention effectivement
à ces visions exotisantes…
– Fétichisante.
– Fétichisante aussi bien sûr,
et positive de la culture : « ouais,
les cultures c’est trop bien »
le vivre ensemble, le partage, etc. »
Je pense que toutes ces assignations-là,
même si elles ont l’air positives, il faut à la fois
s’en méfier et les déconstruire effectivement.
C’est quelque chose qu’on retrouve
dans l’éducation comme étant positif,
qu’on va mettre en avant…
C’est important, et aussi les lectures culturalistes,
c’est-à-dire que souvent on va
expliquer le comportement des élèves,
par exemple les élèves noir·es, on va dire,
« oui mais iels sont comme ça parce
que dans leur culture on fait ça. »
Il faut vraiment faire attention à ce genre de discours et
les retranscrire dans une lecture systémique, bien sûr,
à chaque fois, en se disant mais en fait, d’où ça vient ?
À chaque fois, il faut questionner
d’où ça vient, et souvent,
spoiler alert, ça vient de la
colonisation, de l’esclavage,
et de ce système installé
par la suprématie blanche.
C’est pour ça que c’est hyper intéressant
à chaque fois de décortiquer ces pratiques.
Je trouve que c’est intéressant d’en parler,
parce qu’on a parlé de la vision négative
mais pas de la vision positive justement.
– Si je peux me permettre de rebondir sur ça,
c’est le côté essentialisant qui est foireux as fuck
comment on réduit une personne à une identité,
qui au final n’est même pas la sienne en soi,
dans la manière dont c’est perçu,
de la personne d’où elle parle.
J’imagine qu’on peut presque s’auto-exotiser
mais souvent ce sont quand même
des profs blancs malheureusement qui ont tendance
à faire ça sous couvert de bien faire les choses.
C’est comme un peu ce truc de la minorité
modèle qu’il y a pour les personnes asiatiques.
Sous couvert de dire que ce serait des
personnes qui auraient des performances,
je ne sais pas quoi, dans des domaines,
en mathématiques, peu importe.
Encore une fois, il y a une
personne sujette, objectifiée.
Encore une fois, il y a un rapport qui fait que la
personne n’est jamais vue dans son entière humanité.
Au-delà de ça, comme tu le disais, il n’y
a pas d’agentivité, ni de dialogue, en fait.
Genre : « Ah t’es noir, bah super,
tu nous fais un poulet mafé ? »
Super.
Je le fais super bien en plus, je l’ai travaillé.
Bref, je crois qu’on est vers
la fin, j’ai envie de pleurer.
(imitation de pleurs)
Que dire d’autre à part merci
beaucoup, comme tu l’as dit ?
– Est-ce qu’on a le temps encore ou pas ?
– On a le temps ?
– Non, on n’a plus le temps.
(Soupirs)
– Je pense qu’Aliénor est toujours dans le hall
pour les livres, donc j’invite à acheter le livre.
Dans quelques jours, vous pourrez retrouver
tout le propos de la conférence en ligne,
sur le site de l’aire d’u (lairedu.fr)
et le YouTube de l’Université Rennes 2,
vous pourrez le repartager
et partager cette ressource.
Merci beaucoup à vous deux,
vraiment, pour ce temps.
– Merci à vous.
[Applaudissements]
– Peut-être vous remercier pour votre super écoute.
On a passé un excellent moment avec vous,
on peut continuer la discussion dehors aussi.
Pour celles et ceux qui voulaient poser des questions,
on connaît la frustration donc on peut
discuter dehors avec grand plaisir.
– On vous invite demain à venir
découvrir l’hommage à Claude McKay,
exposition suivie d’un concert à 2h, avec une
projection à l’Institut franco-américain à 8h.
Toute la programmation est en ligne et c’est
toute la journée demain à Rennes 2 et à l’IFA.
Merci à vous.
[Applaudissements]
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CREA – Université Rennes 2
Directeur Gaal Melikian
Directrice Adjointe Christine Zimmermann
Direction de production Amélie Rouleau
Chargé de production Clément Dufloux
Réalisation Gaal Melikian
Regie Tambour Valentin Dabo
Infographie Yann Garandel
Sous-titrage Camille Leleu
Emmanuelle Smirou, Vice-présidente Conditions de travail, action sociale et égalité.
Événement porté par le service culturel dans le cadre de la Mission Égalité de l’Université Rennes 2 et du programme de Rennes Métropole autour du #8mars, Journée internationale des droits des femmes
Service Culturel
Responsable du service Sarah Dessaint
Responsable adjointe, chargée de l’action culturelle Laura Donnet
Graphisme, régie d’exposition Benoît Gaudin
Gestion administrative et financière Fanny Hubert
Chargée de communication Clara Guichard
Assistante de communication Léa Montezin
Visuel © Pixabay
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