Résumé
En partenariat avec Les Éditions du commun.
Jonas Pardo est le co-auteur du Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme (éditions du Commun, octobre 2024). Outil à destination du grand public et des acteurs et actrices du mouvement social, il retrace la longue histoire de la construction des accusations faites aux Juifs, de l’antijudaïsme antique aux théories du complot et à l’antisémitisme contemporain.
Pensé comme un outil pratique, le manuel est découpé en trois parties : une définition de ce que recouvre le nom « Juif », une partie historique permettant de comprendre le processus de racialisation des Juifs sur le temps long et, enfin, des analyses et des propositions concrètes à propos de l’antisémitisme en développement depuis les années 2000. Le manuel permet au lecteur d’embrasser la complexité du phénomène de l’antisémitisme, son caractère systémique, ses implications sociales et politiques, et de s’approprier des outils pour rejoindre le combat antiraciste.
Jonas Pardo est créateur et animateur de formations à la lutte contre l’antisémitisme. Il propose ici une introduction à la lutte contre l’antisémitisme et un décryptage d’iconographies antisémites, pour apprendre à reconnaître et affronter l’antisémitisme.
Transcription
Bonsoir à tous et à toutes.
Je suis ravie de vous retrouver ce soir pour la suite
de nos rencontres des Mardis de l’égalité.
C’est le dernier de l’année 2024.
Merci de continuer à porter votre intérêt sur les questions
relatives à l’égalité et sur les enjeux qu’elles soulèvent.
Alors, un mot pour les collègues
du service culturel et du CREA.
Merci à vous de contribuer à la réussite
de cette soirée, une fois de plus.
Merci pour votre travail et merci
également pour votre bonne humeur.
Je rappelle que cette soirée est filmée et
qu’elle sera mise en ligne dans quelques jours
sur lairedu.fr et sur notre chaîne YouTube
pour une meilleure accessibilité.
Alors, ce soir, nous accueillons Jonas
Pardo, qui vient nous présenter
une conférence intitulée Introduction
à la lutte contre l’antisémitisme.
Jonas Pardo dirige l’association Boussole antiraciste
et anime des formations à la lutte contre
l’antisémitisme et tous les racismes.
Il a co-écrit avec Samuel Delor un « petit
manuel de lutte contre l’antisémitisme »,
qui n’est pas si petit que ça, publié aux
Éditions du commun, notre partenaire,
qui tient ce livre à votre disposition en haut
de la salle sur la petite table prévue à cet effet.
Le livre porte un sous-titre
« Reconnaître, décrypter, combattre ».
Ce sous-titre nous invite à déconstruire,
une nouvelle fois, pour mieux appréhender
la complexité de ce phénomène
et de son caractère systémique.
Dans un contexte où il est tentant pour beaucoup de
gens de considérer les choses à travers un prisme binaire,
Il me semble important de déconstruire pour bien
comprendre comment s’articulent tous les éléments
et pour bien avoir en tête que nous devons rester vigilant·es
pour questionner sans cesse nos référentiels de pensée.
Jonas Pardo, merci d’avoir accepté notre
invitation et de porter cette discussion.
Alors je vous invite à écouter, à poser des questions
et à enrichir ce moment avec vos réflexions
dans le respect de la diversité et
des points de vue qui s’exprimeront.
Merci vraiment de votre présence et
je vous souhaite une très belle soirée.
Jonas, je te laisse la parole.
Merci beaucoup.
Bonsoir à tous et toutes.
Je suis obligé de commencer mon intervention
par des remerciements à toute l’équipe du Tambour.
Sarah, Laura, Fanny, tou·tes les
autres, l’équipe technique,
je n’ai pas enregistré tous les prénoms, je suis désolé.
Merci beaucoup d’organiser ces temps qui me semblent
importants et nécessaires et merci de me donner la parole.
Je salue également l’équipe des Éditions du commun
qui est là ce soir, Sylvain Bertrand mon éditeur,
Esther, Juliette Rousseau et tou·tes celleux qui m’ont soutenu,
encouragé, supporté durant les deux années de cette écriture.
Et enfin, il n’est pas là, mais je salue Samuel
Delor, le camarade avec qui j’ai écrit ce livre,
avec qui j’aurais préféré proposer un two-man
show plutôt qu’être tout seul devant vous.
Je vous propose de rentrer dans le
sujet directement avec une image
que j’ai l’habitude de proposer à mes
stagiaires dans les formations que j’anime,
pour introduire mon sujet.
Qu’est-ce qu’on y voit ?
Alors, j’ai l’habitude de demander, dans mes formations, voilà,
imaginez que vous voyez ce type dans la rue, et vous avez
envie de raconter cette rencontre en rentrant chez vous,
à votre coloc, à votre compagnon, à votre compagne.
Quels mots vous utiliseriez pour le décrire ?
Alors souvent, les gens me disent, bon,
c’est quelqu’un de confus, ce n’est pas clair.
Voilà, n’hésitez pas à chuchoter
à côté, à votre voisin·e.
On ne comprend pas très bien son message.
Bon, on est dans les manifestation
contre le pass sanitaire.
On est à Paris.
Et finalement, pour comprendre
le message, il y a un mot clé.
Il y a la troisième phrase, c’est le mot gentil.
Le mot gentil, c’est un mot biblique
qui sert à dire les non-juifs.
Donc la révolte des non-juifs contre qui ?
Contre les juifs.
Qui prendra le train grâce à la révolte des gentils ?
C’est donc une menace génocidaire.
Ce type fait bien entendu allusion au train
de la Shoah et il est en train de désigner
les juifs comme responsables, on ne sait pas très bien,
de la pandémie ou de la distribution des vaccins
ou de l’obligation de vaccination,
on ne sait pas très bien.
Mais on peut s’en assurer pour deux raisons au moins.
D’abord, le QUI, avec une étoile de David au-dessus
du I, qui est une référence à l’actualité du moment.
Et le contenu même qui nous esclavagise avec le pass sanitaire,
qui nous empoisonne, qui nous tue avec le vaccin.
Ce qui, trois lettres simples, désigne les juifs
comme responsables du chaos et des troubles
qui agitent la France au moment des
mouvements contre le pass sanitaire.
Qu’est-ce qui me permet d’affirmer cela ?
C’est parce que ce qui a été diffusé après une tribune
qu’on appelait la tribune des généraux putschistes,
publiée dans le magazine d’extrême
droite Valeurs Actuelles.
Qu’est-ce que disait cette tribune ?
Le contrôle du pays échappe aux institutions actuelles,
donc nous militaires, nous allons reprendre le contrôle
parce qu’il y a un groupe qui a pris le contrôle
des médias, de l’industrie, de la médecine, etc.
Alors je ne me rappelle plus sur quelle chaîne télé,
peut-être BFM ou CNews, une télé comme ça,
à l’origine de cette tribune, l’ex-général Dominique
Delawarde est interviewé et le journaliste se demande
« Mais qui exactement est derrière nous les médias,
qui nous contrôle, qui contrôle l’information ? »
Le général ne répond pas tout de suite,
il esquive un peu la question.
Alors le journaliste insiste « mais qui, mais qui,
mais qui ? » et l’ex-général finit par dire
« Eh bien, cette communauté que
vous connaissez si bien… »
Alors le journaliste dit « coupez l’écran,
pas d’antisémitisme à l’antenne ! » etc.
Enfin, si on n’a pas qualifié encore ce panneau
d’antisémitisme, il reste ce hashtag,
ce dièse #StopGénocideGaulois, qui est
une vieille idée en circulation que les juifs
organiseraient, voudraient, auraient un
plan pour exterminer les chrétiens.
Alors ici, ce n’est pas exactement les chrétiens,
c’est les gaulois comme les vrais français.
La question qui peut se poser
en voyant ce type-là, c’est :
mais pourquoi finalement il n’a pas
un panneau avec écrit sale juif ?
Il serait quand même beaucoup plus clair et
plus efficace dans son militantisme antisémite.
Il se trouve qu’en France, après la Shoah, on ne peut
plus se revendiquer antisémite comme avant la Shoah.
On va le voir tout à l’heure.
Et être antisémite, c’était la mode.
On va regarder ça.
Effectivement, dans la deuxième moitié du XXe
siècle, l’antisémitisme devient répréhensible.
Ce n’est plus une opinion, c’est un délit.
Mais aussi, il est exclu socialement.
On ne peut plus se dire antisémite
sans que les gens réagissent.
Est-ce que pour autant,
l’antisémitisme a disparu ?
Je crois que non.
Mais il trouve des nouvelles formes
pour s’exprimer, des formes codées.
Ce type-là, je ne sais pas ce que
vous avez chuchoté à votre voisin·e,
mais on a un type qui maîtrise
des références historiques.
Il fait référence à l’accusation d’empoisonnement
des puits qui a circulé en Europe au XIVe siècle.
Les Juifs étaient massacrés car on les accusait
d’empoisonner les puits à partir de potions
qu’ils auraient fabriquées lors des
épidémies de peste par exemple.
Donc il a des références historiques,
il a des références bibliques.
Il suit l’actualité, c’est un observateur du débat public,
puisqu’il a repris le slogan qui,
très diffusé en France à ce moment-là.
Bon, vous l’avez compris, là on est dans l’extrême
droite, j’ai envie de dire, rien de bien nouveau,
l’extrême droite est antisémite, c’est vrai,
rien de nouveau, comme ce dessin d’ailleurs,
qui illustre à lui-même ce qu’est l’antisémitisme
finalement, il est diffusé en tout cas
par le site Égalité et Réconciliation
tenu par le militant Alain Soral.
Alain Soral, si vous ne connaissez pas
le personnage il devient célèbre,
il se fait connaître parce qu’il est coach
en séduction sur internet c’est-à-dire
qu’il propose des moyens pour créer un système
d’emprise et créer de la dépendance affective
auprès des femmes pour des
hommes qui voudraient pécho.
Alain Soral est un militant d’extrême
droite, avec Égalité et Réconciliation
il se revendique lui-même du national-socialisme
et il est membre actif du bureau politique
du Front National entre 2006 et 2011.
Mais revenons sur le dessin surtout.
Ce dessin est diffusé à un moment particulier,
c’est pendant la loi Travail en 2016.
Peut-être pour beaucoup on l’a vécu dans le coin.
Macron était alors ministre de l’économie
et cette loi était une réforme
violente du code du travail.
Je ne vais pas plus loin là-dedans.
Qu’est-ce qu’on y voit ?
On y voit Macron avec un petit brassard nazi,
mais ce n’est plus une svastika, c’est un dollar,
au-dessus de la planète Terre et derrière lui,
en demi-teinte, nous voyons trois hommes.
Qui sont Jacques Attali, Edmond
de Rothschild et Patrick Drahi.
Le premier est conseiller économique.
Le deuxième est un banquier d’affaires
richissime, classé 1200ème par Forbes.
Et Patrick Drahi est un milliardaire juif lui aussi
qui a fait fortune dans le secteur des télécoms.
Mais qui aujourd’hui, je crois, déchue,
il a perdu ses différentes entreprises,
dont BFM, Libération, je ne sais plus quoi encore, bref.
En tout cas, ce qu’ils partagent, leur
point commun, c’est le fait d’être juif.
Et finalement, ce dessin résume
ce qu’est l’antisémitisme.
Derrière le pouvoir apparent, il y a
un pouvoir caché, ce sont les juifs.
C’est ça que dit le message.
Encore derrière, on a le drapeau d’Israël, le
drapeau des États-Unis, un billet de banque, etc.
Je vous ai dit, ça c’est Égalité et Réconciliation,
rien de nouveau sous le soleil,
un groupe qui se prétend du national-socialisme
diffuse l’antisémitisme, rien d’étonnant.
Mais malheureusement, le caractère
spécial de l’antisémitisme, c’est qu’il voyage.
En effet, cette image a créé un
scandale parce qu’elle a été partagée
par un monsieur qui s’appelle Gérard Filoche, une personnalité
assez connue, qui se fait connaître pendant la loi Travail.
Il est militant au Parti Socialiste et surtout, il est
inspecteur du travail et il décortique la loi Travail.
Il est contre.
Et il diffuse ce dessin, croyant
y voir une critique de Macron.
Alors attention, je ne dis pas que
Gérard Filoche est antisémite.
Mais je dis qu’en restant prudent,
je dirais qu’il diffuse ce dessin
parce qu’il pense qu’il s’agit
d’une critique de Macron.
Mais quand on fait une critique
de Macron, on a plein d’arguments.
D’ailleurs, Gérard Filoche est le premier à développer
des arguments concernant cette loi Travail.
Mais là, oui, Gérard Filoche diffuse l’antisémitisme.
Pour comprendre ça, pour comprendre
comment l’antisémitisme se diffuse,
on aimerait tout de suite parler de ce graphique-là.
Qu’est-ce que c’est ?
C’est le nombre d’actes antisémites relevés
par les renseignements de la police
chaque année et avec lesquels
le débat public s’enflamme.
On aimerait parler de ça, on
aimerait parler d’Israël, de Gaza,
on aimerait savoir si l’antisionisme
est un antisémitisme ou pas,
on aimerait savoir beaucoup de choses comme ça.
Mais malheureusement, pour parler de tout ça,
je crois qu’il faut d’abord qu’on pose quelques définitions.
C’est un peu l’objectif de ce bouquin.
On a voulu, avec mon camarade Samuel,
proposer des manières de penser le débat public
qui s’est enflammé depuis un an
sur la question de l’antisémitisme
parce qu’il nous semblait que
le débat était très confus.
Aujourd’hui, l’extrême droite se prétend contre
l’antisémitisme alors qu’elle revendique un héritage nazi
de manière assumée et s’invite dans une
marche contre l’antisémitisme en novembre 2023.
L’extrême droite accuse la gauche d’antisémitisme
qui elle se revendique de l’affaire Dreyfus
et de la résistance française contre l’antisémitisme,
et cette gauche répond que non,
l’antisémitisme c’est un truc inventé par la droite,
que c’est la droite qui l’accuse d’antisémitisme
pour la discréditer et pour l’empêcher de critiquer Israël.
Que l’extrême droite, qui est historiquement
anti-sioniste, elle est devenue sioniste,
alors que la gauche, qui est historiquement
sioniste, elle est devenue anti-sioniste,
que le plus grand mouvement sioniste
aujourd’hui sont des évangélistes États-uniens
qui désirent que tou·tes les juif·ves immigrent en
Israël pour disparaître afin que Jésus revienne,
et un premier ministre israélien qui
prétend qu’il est victime d’antisémitisme
lorsque la Cour pénale internationale l’accuse de
crime de guerre qu’il a, sans aucun doute, commis.
Forcément, avec tout ça, le
débat est difficile et confus.
Alors notre livre, oui, il a un certain volume,
mais je tiens à son appellation « petit manuel ».
Voilà, je vous présente juste le sommaire.
On a construit trois parties.
Avec ce sommaire sur lequel je vais
revenir, la première partie assez rapide
qui s’appelle « Une introduction à la
question juive », qui fait 14 pages,
dans lequel on a résumé peut-être un débat qui a
plus de 200 ans, qui est juif, qu’est-ce qu’un·e juif·ve ?
C’est une question qui agite les intellectuels
depuis au moins la Révolution française.
Une deuxième partie qui est une
vulgarisation de l’histoire de l’antisémitisme,
peut-être certain·es dans la salle ont vu l’excellent documentaire
« Histoire de l’antisémitisme » de Jonathan Hayoun,
mais il nous semblait qu’il n’y avait pas d’équivalent dans un bouquin
dans lequel, finalement, on résume une histoire qui a 2000 ans.
Vous voyez, on part de l’Antiquité avec l’anti-judaïsme.
C’est un mot qui sert à décrire le rejet
des Juifs pour des raisons religieuses.
Et puis comment cette idée que
les Juifs formeraient une « race »,
comment cette idée-là a été inventée
et ramenée dans les idées en circulation.
Ça date du XVe siècle, ça s’est formalisé
au XIXe, je vais revenir dessus aussi.
C’est ce qu’on a appelé les Sémites,
la race juive qui a été opposée aux ariens.
Je vais revenir sur cette idée-là.
Puis comment l’antisémitisme a
été exporté par le biais de la colonisation.
En 20 pages, on décrit le nazisme.
Trouvez-moi un livre qui résume
le nazisme en 20 pages.
Et enfin, dans le chapitre 5, après la Shoah,
on fait un tour en Russie, on explore le négationnisme,
ce qu’on a appelé l’antisémitisme soviétique
en Russie, et peut-être un chapitre douloureux,
mais qui a son intérêt peut-être encore
plus depuis un an, depuis le 7 octobre,
c’est un petit chapitre qu’on appelle
« Les exils juifs des pays musulmans.»
Comment près d’entre 800 000
et 1 million de juifs ont quitté
les pays du Maghreb ou du
Moyen-Orient dans les années 50.
Et pourquoi ?
Et enfin, la dernière partie de ce livre, qui occupe
la moitié, c’est combattre l’antisémitisme aujourd’hui.
Alors, je vous propose, voilà, je vais traverser un peu
ce livre-là en vous donnant quelques définitions.
Juif, sionisme, antisémitisme, c’est un peu
l’objectif principal de ces livres finalement,
proposer des mots peut-être pour mieux s’y
retrouver dans un débat qui a un peu perdu la tête
et je vous proposerai que ce soit dans les
questions qu’on aborde ce débat proprement dit,
je suis sûr que vous avez des
interpellations et des questions pour moi.
Ma première partie, je vous ai
dit, c’est un questionnement.
Qui est juif ?
Qu’est-ce qu’un juif ?
Alors, quand je dis juif, probablement,
vous pensez d’abord à la question religieuse.
Oui, être juif, c’est un rapport avec
la religion juive, qui est le judaïsme.
Pour illustrer cela, j’ai pris une image,
un dessin dans une synagogue.
C’est lors d’une fête juive qui s’appelle
Souccot, la « Fête des Cabanes ».
Je le sais avec les fruits que les hommes de la
synagogue agitent et sur lesquels ils font des prières,
mais l’intérieur de la synagogue est
intéressant pour moi à vous montrer
car il me permet de parler de cette
religion qui s’est créée dans l’Antiquité,
et qui est une rupture anthropologique.
Pourquoi ? Jusque-là les êtres
humains vénéraient des dieux.
On dit qu’ils étaient polythéistes et
ces dieux étaient des incarnations
de la nature ou de sentiments, de valeurs.
Pensez à Poséidon, le dieu de la
mer dans la mythologie grecque.
Athéna, la déesse de la justice et d’autres encore.
Mais le judaïsme, qui est un des
premiers monothéismes, est une rupture
parce qu’il dit non, nous refusons la
personnalisation des éléments de la nature
et nous attribuons tous ces pouvoirs que
les polythéistes attribuent à de multiples dieux,
nous les mettons dans un seul dieu.
C’est ça la grande différence.
Ce monothéisme va proposer
une nouvelle vision du monde,
voire une moralisation de la vie publique
à travers une loi, des commandements.
Vous connaissez les Dix Commandements,
et toute une organisation de la société, la justice, un
état civil, des pratiques de médecine, l’enseignement, etc.
Bon, ça ne veut pas dire qu’il
n’y en avait pas par ailleurs.
Toutes ces institutions n’ont pas attendu
le monothéisme pour se développer,
mais le monothéisme propose un état de
la société qui réunit toutes ces questions-là.
Vous voyez, ces hommes dans
la synagogue sont tous tournés
vers une espèce de réplique
d’un temple, à droite de l’image.
C’est le temple de Salomon, un temple
qui a véritablement existé dans l’Antiquité.
Et cette réplique du temple contient un texte.
Voilà la première page de
ce texte qu’on appelle la Torah.
Ce texte est le texte sacré que les Juifs vénèrent.
J’aime bien dire que les Juifs ne vénèrent plus
des idoles, mais vénèrent un texte, un livre sacré.
On les appelle donc « le peuple
du Livre » à ce moment-là.
Donc ce texte, c’est un récit
de la création du monde.
Là, vous avez la première page de la Genèse
qui dit le monde a été créé en six jours,
Dieu a séparé le ciel et la terre, etc.
Le texte présente une généalogie de personnalités
qui ont conclu des alliances avec Dieu décrit dans le texte.
Ces personnalités sont les
prophètes, les messagers de Dieu.
Une des personnalités peut-être importantes pour
le judaïsme, c’est un des patriarches qui s’appelle Jacob,
qui aurait lutté avec un ange toute une nuit et à la
fin de cette nuit de lutte aurait été renommé Israël,
un nom hébreu qui veut dire
celui qui combat avec Dieu.
C’est tout un débat pour savoir s’il s’agit
de lutter à ses côtés ou lutter contre
et qui fait l’objet d’une discussion
théologique et pas la nôtre.
Donc ce récit s’interrompt à ce moment-là.
Je ne sais pas si vous avez vu
ce film-là assez incroyable,
« Les Dix Commandements »,
un film des années 50.
C’est la sortie d’Égypte.
Les Hébreux, ce peuple à qui Dieu aurait
promis une terre et une grande descendance,
c’est Moïse, un des Hébreux, qui va les
mener vers ce pays, le pays de Canaan.
Voilà en résumé ce que dit le texte
sacré des Juifs, c’est la théologie.
Je ne m’intéresse pas de savoir si la mer a
été ouverte en deux ou pas, je ne le pense pas,
mais ce texte m’intéresse pour savoir quels sont
les mythes, les croyances partagées par ce peuple hébreu,
qui va devenir les Israélites, une fois
installés dans cette terre d’Israël.
Cette terre d’Israël fait l’objet de recherches
scientifiques et elle est attestée dans l’histoire la première fois
par la lecture de cette stèle qui a été
trouvée en Égypte, la stèle de Mérenptah,
qui date du XIIIe siècle avant Jésus-Christ
et qui fait référence à ce peuple d’Israël.
Ce qui est intéressant, c’est que la
Torah désigne les enfants d’Israël
comme les descendants de Jacob et on retrouve
des traces effectives de ce royaume d’Israël
qui a été reconstitué, plus ou moins, peut-être
aurait ressemblé à cela entre le XIe et le Xe av. J.-C.
Ce royaume d’Israël va connaître
des invasions, des transformations,
il va se diviser en deux sous le fait de
divisions en interne dans ce peuple d’Israël,
entre le royaume de Juda,
le royaume d’Israël, etc.
Je vais sauter un peu tout ça,
on va faire 1000 ans en 5 minutes.
Je vais vite aller en 70 après
Jésus-Christ, un moment important,
qui est le dernier moment de la bataille des Judéens
avec les Romains qui ont envahi cette région.
Vous le savez, peut-être, les Romains
prennent le pouvoir sur la Judée,
ils détruisent le temple qui est le lieu de culte
et qui concentre le pouvoir religieux et politique.
À l’Antiquité, souvent, le pouvoir
politique et religieux sont confondus.
Ils détruisent le Temple et interdisent le
judaïsme en Judée, les Juifs se dispersent.
On parle de deuxième exil.
Retenez schématiquement qu’en 70 après Jésus-Christ,
les Juifs se dispersent tout autour de la Méditerranée.
Fait intéressant, les Juifs arrivent en France
au 1er siècle avant Jésus-Christ,
avant que le christianisme arrive.
D’autres Juifs vont ailleurs, globalement, c’est un
schéma directeur tout autour de la Méditerranée.
Donc vous voyez, de la question religieuse,
je suis passé à une question ethnique.
Mais ce n’est pas suffisant.
Ce n’est pas suffisant pour définir
un juif, parce qu’aujourd’hui,
la plupart des juifs ne sont ni croyants, ni
ne revendiquent d’ascendance abrahamique.
D’ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse établir de filiation entre la Bible
et une quelconque réalité génétique ou
ethnique aujourd’hui, je ne pense pas ça.
Mais pourtant, des Juifs se disent
Juifs alors qu’ils ne pratiquent pas.
Annette Wieviorka, historienne de
la Shoah et enfante de survivantes,
dit avec beaucoup d’humour une phrase que
je répète souvent, c’est qu’elle dit qu’elle se…
Elle s’énerve souvent en lisant la presse,
en lisant que Machin est de confession juive
alors qu’elle mangeait un jambon-beurre
avec lui la semaine précédente.
Oui, beaucoup de Juifs se disent Juifs athées.
Beaucoup de Juifs ne croient pas en Dieu
et pourtant ont des pratiques culturelles.
Certains, on les appelle les Juifs de Kippour,
ceux qui vont à la synagogue une fois par an.
Des Juifs croyants ne pratiquent pas,
des juifs pratiquent un peu,
et croient plus ou moins, bref, peu importe.
La question religieuse fait partie de
l’équation, mais elle ne suffit pas.
C’est une question qu’on explore dans le livre
avec Samuel, je vais devoir aller vite là-dessus.
Mais qu’est-ce qu’un juif ?
Qui est juif ?
Pourquoi on est juif ?
Oui, c’est quelque chose qui a agité
la gauche pendant beaucoup d’années,
et il semblerait que cette question
n’en soit plus vraiment une aujourd’hui,
dans un contexte où, finalement,
les identités ont tendance
à ne plus être pensées comme
dynamiques, changeantes, mouvantes.
Et nous, nous faisons l’apologie de cette idée-là,
qu’on n’est pas la même personne au début et à la fin
de sa vie, et surtout, on est loin d’être une seule chose.
En tout cas, être juif, ça a quelque
chose avec un rapport à l’histoire.
Je m’exemplifie.
Ma mère est marocaine, mon père est égyptien,
d’une famille égyptienne, plutôt.
Côté marocain, ils ont fui le Maroc dans les années 50,
puisqu’en tant que Juifs, c’était
difficile de prévoir un futur.
Du côté de mon père, ils ont été
expulsés en 1956 en tant que Juifs.
Si je suis ici devant vous,
dans cet amphithéâtre,
c’est bien par mon rapport à l’histoire.
On pourrait disserter longtemps
sur la question juive.
C’est l’objet d’ouvrages qui remplissent des bibliothèques
entières, mais notre sujet, c’est l’antisémitisme.
Pour comprendre ça, nous pensons
qu’il faut une certaine culture
pour reconnaître et affronter
ce phénomène contemporain.
Vous avez vu la tête d’oiseau au début.
Lui, il connaît bien l’histoire, il
maîtrise les références historiques.
Finalement, je crois parmi vous,
beaucoup n’ont pas forcément vu
le contenu antisémite, en tout
cas au premier coup d’œil.
C’est bien qu’il faut une certaine
culture pour reconnaître,
afin d’affronter ces expressions qui s’expriment
de manière non plus évidente, claire,
comme c’était le cas avant la Shoah.
Alors pour ça, il faut remonter assez loin finalement.
Vous allez voir, on va faire ça rapidement.
Avec un événement qu’est la mort de Jésus.
Alors, Jésus a-t-il existé ?
A-t-il distribué des pains et marché sur l’eau ?
Ça ne m’intéresse pas du tout.
Ce qui m’intéresse, c’est le récit,
le récit qui en a été fait,
le récit qui a été finalement au centre de la
civilisation que nous connaissons aujourd’hui,
puisque l’Europe entière, mais pas que l’Europe, s’est
construite à partir de la diffusion du christianisme.
Peut-être vous l’avez vu, peut-être vous l’avez déjà vu,
mais en tout cas vous le verrez à partir d’aujourd’hui.
Lorsque vous avez Jésus sur la croix, il arrive souvent
qu’il y ait un petit panneau au-dessus de sa tête
sur lequel on peut lire l’acronyme INRI,
ce qui veut dire en latin
Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, je traduis,
Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.
On se rappelle que Jésus
était juif, il vivait en Judée,
et tous ses apôtres, les disciples, son
fan club, étaient également juifs.
Matthieu s’appelait Matathias,
Jésus, Yehoshua,
ils avaient des noms bien judéens
puisqu’ils étaient tous juifs.
Sur La Cène, la peinture de Léonard de Vinci,
on voit Jésus en train de pratiquer un rite juif,
la bénédiction sur le pain et le vin.
Mais Jésus, vous le savez, il est mis
sur la croix par les Romains
parce que c’est un agitateur.
Ils contestent le pouvoir des Romains, ce que
les Romains n’apprécient pas beaucoup.
Ils le mettent sur la croix avec un petit panneau en disant
voilà les Juifs, voilà ce qu’on vous fait.
C’est une moquerie d’écrire
Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.
Si vous continuez à vous rebeller,
voilà ce qui va vous arriver.
C’est ça que les Romains ont fait
en mettant Jésus sur la croix.
Et pourtant, les apôtres, ceux qui
vont témoigner de la vie de Jésus,
ceux qui vont écrire les évangiles,
donc les témoignages de la vie de Jésus,
très tôt ne vont pas raconter la même histoire.
Paul, par exemple, le premier qui
écrit des lettres, des épîtres,
des lettres qu’il envoie à différentes
communautés en Europe,
par exemple dans cette lettre
qu’il écrit aux Thessaloniciens,
donc à des Grecs, voilà l’histoire qu’il raconte.
« Ce sont ces Juifs qui ont fait mourir
le Seigneur Jésus et les prophètes,
qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ».
Retenez bien cette phrase « Ce sont ces
Juifs qui sont ennemis de tous les hommes ».
Les disciples sont en train de créer
une nouvelle interprétation du texte sacré
et Rome va aspirer cette croyance,
ce contenu, pour le diffuser en Europe.
Il faut donc qu’ils se séparent du
judaïsme d’un côté, mais en plus,
les Romains en veulent aux Juifs, qui ont résisté pendant près d’une centaine d’années,
jusqu’au IIe siècle, qui est 134,
la dernière révolte juive,
après laquelle les Romains renomment la Judée du nom de Palestine.
Le récit qui va être diffusé par
l’Église chrétienne, c’est le suivant.
Pendant que Jésus distribuait la bonne parole,
comme on le voit sur ce tableau du XVème,
à gauche, on voit Jésus en train de
distribuer la bonne parole, à droite,
il y avait un traître parmi les disciples, c’était Judas.
Judas, c’est celui qui refuse de devenir
chrétien, qui s’obstine à rester juif,
qui s’obstine à ne pas reconnaître
Jésus comme le sauveur.
Lui, qu’est-ce qu’il faisait pendant que
Jésus distribuait la bonne parole ?
Judas trahissait Jésus pour 30 pièces d’argent.
Cette idée-là, elle va se diffuser dans le Moyen-Âge,
et l’Église va se servir de cette idée
que les Juifs sont des traîtres
et ont un rapport particulier à l’argent pour
créer une séparation avec le judaïsme.
On le voit dans toute l’iconographie
chrétienne du Moyen-Âge,
même dès l’Antiquité en réalité,
et même après, comme on va le voir.
On l’a, par exemple, dans cette église
pas si loin d’ici, à Saint-Ouen des Iffs,
on a Judas est en train d’empocher
la récompense auprès des Romains.
Il est en train de dénoncer
l’emplacement où Jésus se cache.
Judas, sur ce tableau que vous avez
déjà vu, vous pouvez le reconnaître.
C’est celui qui a une bourse dans la main.
Il est à gauche de Jésus.
De sa main droite, il tient une bourse,
donc l’argent qu’il a empoché,
et de la main gauche, il tente de subtiliser le pain
de Jésus, le pain qui est le corps de Jésus.
Ils rondent le pain et disent « Ceci est mon corps ».
Sur ce tableau, Judas tente de trahir Jésus déjà.
Dès lors, Judas est maudit et
doit être envoyé à la pendaison.
On le voit sur cette magnifique fresque.
C’est le diable qui vient chercher l’âme
de Judas pour qu’il souffre pour l’éternité.
Donc, Judas est le traître.
C’est peut-être l’explication qui fait qu’on
représente sur cette image du XIIe,
sur une boîte, Judas qui détourne son regard,
et pour montrer qu’il détourne bien son regard,
l’auteur lui fait un gros nez.
Regardez les proportions des disciples, des
apôtres, qui regardent dans la direction de Jésus,
qui ne détournent pas le regard,
ils ont un nez bien proportionné,
et l’autre, de profil, lui, pour
montrer qu’il est bien un traître,
on lui fait un gros nez qui fait
presque le tiers de son visage.
Tout au long de l’Antiquité, plusieurs
accusations vont nourrir ce discours,
afin d’un côté de séparer l’Église
chrétienne de l’Église juive, de la synagogue,
mais pour remplir aussi d’autres
fonctions sociales et politiques.
Une série d’accusations va circuler comme
des rumeurs, mais diffusées par tout le clergé.
Ces accusations sont des centaines, je ne pourrais pas les faire toutes,
mais je vais vous en faire quelques-unes
pour que vous compreniez l’ampleur
et la profondeur de ce type d’accusations.
La première, c’est l’accusation de crime rituel.
Les juifs sont accusés de kidnapper des enfants chrétiens
pour prélever leur sang et pratiquer certains rites religieux.
Un des commandements juifs dans les Dix
Commandements, c’est « tu ne tueras pas ».
Les juifs ont des lois alimentaires très strictes.
Il est absolument évident que les juifs
ne kidnappent pas des enfants chrétiens,
ni ne prélèvent du sang.
Mais ce qui est en jeu finalement,
c’est l’idée que les Juifs continuent
à crucifier l’innocence, à crucifier
le Sauveur, à crucifier Jésus.
On le voit sur cette illuminure qui
raconte les chroniques de Nuremberg.
Un enfant chrétien, en fait, il est
mis dans une posture de croix
et il est ponctionné de sang partout par des Juifs.
On a cette accusation qui circule partout
en Europe, ici c’est en Italie, pareil,
vous avez des juifs prélevant du
sang sur des enfants chrétiens
et un tas de cadavres à leurs pieds.
Vous avez d’autres accusations comme
celle-ci, la profanation d’hosties.
Qu’est-ce qu’on a sur cette enléminure allemande ?
On a un juif qui traficote de l’argent à gauche
et un autre qui poignarde un petit pain rond,
c’est une hostie, avec un poignard.
La profanation d’hosties, c’est quoi l’idée ?
Non seulement les Juifs ont tué Jésus,
ils continuent à tuer des enfants chrétiens,
mais en plus, ils tuent Jésus symboliquement
en subtilisant les hosties à l’Église
et ils lui mettent des coups de poignard.
Vous avez cette accusation
en Italie, ici, avec ce tableau,
où un Juif aurait volé une hostie
et le mettrait à brûler sur sa poêle.
Ce qui provoque un saignement qui
prévient la garde et qui, heureusement,
va sauver le corps de Jésus qui est injustement
brûlé par ce juif crucifixeur, ce juif criminel.
Ici, dans ces tableaux qui viennent des
Pays-Bas, on a des Juifs qui poignardent,
qui martèlent, qui poignardent encore
dans une scène complètement théâtrale.
Et vous avez ce bon Romain qui
s’insurge de toute cette profanation.
Et donc ces accusations, elles ont des effets.
Imaginez, à l’Antiquité et au Moyen-Âge,
la disparition d’un enfant,
c’est quelque chose qui arrive.
Maladie, bête sauvage, noyade, perte
dans la forêt, violence entre enfants.
La raison de la perte d’un enfant
est traumatique, bien sûr,
mais assez fréquente comparée à nos sociétés.
Un enfant est mort, c’est la faute des juifs.
Il n’y a plus d’hosties à l’église,
c’est la faute des juifs.
Imaginez tout le spectre des accusations
qui peuvent exister là-dedans.
Donc ces accusations ont des effets.
Le bûcher, les massacres.
Je ne vais pas faire toute la chronologie
des massacres au Moyen-Âge,
on en aurait pour dix jours à peu près.
Ici un bûcher à Nuremberg, ici un massacre dans la ville de York, ici,
après que les juifs aient été accusés d’empoisonner les puits de la ville de Strasbourg,
ils sont massacrés lors de la fête de la Saint-Valentin.
C’est une date qui est restée dans l’histoire
comme le pogrom de la Saint-Valentin
parce qu’il a lieu le 14 février 1349, si je me
souviens bien, en pleine épidémie de peste.
Bon, ça, c’est le temps du fanatisme, de l’obscurantisme,
des croyances absurdes et irrationnelles.
Mais le problème, c’est que ces accusations vont se séculariser.
Vous avez cette carte postale distribuée
dans les États-Unis de la fin du XIXe,
qui remet en scène encore
cette innocence crucifixée.
Qu’est-ce qu’on a ?
On a l’oncle Sam, Le vrai bon Américain
enraciné, bien de chez nous,
le vrai travailleur honnête qui est mis sur
la croix et qui est dépouillé par les Juifs.
Il y a écrit sur le panneau au-dessus de lui,
ce sont les États-Unis dans les mains des Juifs.
« »This is the US in the hands of the Jews. »
Donc encore une fois, l’innocence
est ponctionnée de son sang.
Vous voyez ce juif capitaliste avec
sa redingote et son haut de forme,
ce juif banquier qui ponctionne
du sang aux bons Américains,
la démocratie et les républicains qui lui
font les poches et le juif de Wall Street
qui lui éponge sa sueur pour le convertir en argent.
Les accusations et l’idée que les Juifs
auraient un lien supposé avec l’argent
se métamorphose et prennent une nouvelle forme.
Mais l’accusation ici est bien sécularisée.
Qu’est-ce qu’on a encore ?
On a en haut à gauche de la carte
postale, ce que Judas aurait dû faire,
donc aller se pendre, et en bas, la carte
postale est titrée « L’histoire se répète »,
donc avec cette idée, les Juifs réitèrent
la mort du Christ encore une fois.
Et cette image, elle est encore utilisée de nos jours.
Par exemple, en Noël 2023,
en plein bombardement à Gaza,
lorsque l’armée israélienne massacre
des populations civiles palestiniennes,
on a ce genre d’image qui est
diffusée sur les réseaux sociaux.
Vous avez ici un tweet avec près de
130 000 impressions d’écran, c’est signifiant.
Et qu’est-ce qu’on y voit ?
On y voit un palestinien qui est mis sur la
croix avec un tas de cadavres à ses pieds,
une armée, évidemment l’armée
israélienne, dans un champ de ruines.
Alors voilà, ce dessin devient viral parce
qu’il se présente comme une dénonciation.
Il se présente comme une
dénonciation légitime des massacres
commis par l’armée israélienne à Gaza.
Ce n’est pas cet aspect-là que je discute.
Ce que je discute, c’est d’abord la
confusion qui règne dans ce dessin.
Jésus n’était pas palestinien, il était judéen.
Et puis, il est écrit là-haut, les sionistes
répètent l’histoire chaque jour.
Il y a l’idée, finalement, qu’il y a recrucifixion de Jésus.
Les sionistes, eux, vont apparaître à la fin du XIXe
siècle, soit 1900 ans après la mort de Jésus.
Ce que dit Brice Garreau finalement,
en tout cas, l’hypothèse que je vous propose,
c’est qu’elle n’est pas réellement en train de dénoncer
l’armée israélienne et ses massacres à Gaza,
elle est en train de réactiver
l’accusation de peuple déicide.
Peuple déicide, c’est l’idée que les juifs auraient
tué Dieu, le Fils de Dieu, puis Dieu lui-même.
Il faut rentrer dans la théologie
chrétienne pour comprendre
comment on passe de l’idée de tuer
le fils de Dieu à Dieu lui-même
et comment on peut tuer Dieu d’ailleurs.
Ça, c’est un développement un peu long,
je ne vais pas le développer maintenant.
En tout cas, retenez cette idée,
l’accusation du peuple déicide.
C’est la même idée avec cette image.
C’est une comparaison extrêmement bien faite.
On voit une image chrétienne, une icône chrétienne,
la Vierge Marie avec bébé Jésus à gauche.
Et à droite, une photo qui est générée
par une intelligence artificielle.
Je vais vous dire comment je le sais après.
On voit une maman avec son bébé
et elle est la Vierge Marie.
Il est bébé Jésus.
Cette photo est extrêmement probable.
Je veux dire une maman palestinienne qui
tient son bébé dans un champ de ruines.
C’est une photo probable aujourd’hui.
Oui, il y a des mamans palestiniennes qui tiennent
leur bébé dans un champ de ruines, c’est sûr.
Mais cette photo-là n’existe pas.
Moi, ce que je prétends, c’est qu’elle n’a pas pour objectif
la solidarité avec les Palestiniens.
Elle a pour objectif de diffuser la haine des Juifs.
Pourquoi ?
Parce que Brice Garreau n’est pas une vraie personne.
Brice Garreau est un robot piloté par le régime iranien.
Elle a un succès incroyable sur les réseaux sociaux
parce qu’il y a toute une ferme de trolls qui est payée
par le ministère des affaires étrangères iranien.
Il y a eu une enquête qui a été faite sur ce compte-là
parce qu’il provoquait des buzz sur Internet,
non seulement en France mais
dans tous les pays du monde.
L’hypothèse que je fais, c’est que lorsqu’on est
vraiment en empathie avec les Palestinien·nes
et qu’on veut faire de la solidarité avec
les Gazaouis, on envoie de l’aide humanitaire,
on s’agite avec des avocats
à la Cour pénale internationale,
plutôt que de payer des gens à diffuser
de l’imagerie antisémite sur Internet.
L’antisémitisme nourrit des fonctions politiques.
Vous voyez, j’ai utilisé deux mots différents.
J’ai parlé d’anti-judaïsme.
C’est le rejet des Juifs pour
des croyances religieuses.
On en veut aux Juifs parce qu’ils
refusent de croire en Jésus
comme le dernier des prophètes,
comme envoyé de Dieu.
Et l’antisémitisme, c’est autre chose.
C’est une idéologie qui se formalise
au XIXe et qui s’appuie sur l’idée
qu’il faut en vouloir aux Juifs pour des
raisons politiques ou biologiques.
Mais il y a des ruptures entre accusation religieuse et
accusation pseudo-politique ou pseudo-scientifique.
Mais il y a aussi des continuités.
Déjà, le pogrom de Strasbourg
était un coup de la bourgeoisie,
des guildes qui étaient à l’extérieur
des remparts de Strasbourg,
qui ont fait courir le bruit que
les Juifs étaient coupables
d’empoisonner les puits pour
provoquer un coup d’État.
La rumeur qu’ils ont fait tourner, c’est l’idée
que la peste est de la faute des Juifs.
Ce massacre a permis à la bourgeoisie de créer
un coup d’État dans la ville fortifiée de Strasbourg,
mais la peste est quand même arrivée
et a massacré tout le monde.
Pensez à ces étoiles bleues qui ont été peintes l’hiver
dernier et les enquêtes de police ont montré
qu’il s’agissait d’un coup des Russes qui profitaient de
l’antisémitisme pour augmenter le chaos de la société française.
Alors, ces accusations, elles ont des effets.
Il ne s’agit pas purement d’un exercice
intellectuel, je vous propose.
Ces accusations ont réellement des effets.
Par exemple, c’est la mort de ce
monsieur qui s’appelle Ilan Halimi,
qui est un jeune juif français qui a été kidnappé en 2006.
Ces agresseurs sont venus le chercher
devant le magasin où il travaillait.
Il était vendeur de téléphones portables
Boulevard Voltaire à Paris dans le 19ème.
Ces agresseurs l’ont emmené,
ils ont demandé à sa famille
la somme de 450 000 euros en échange de sa vie.
Sa mère était secrétaire médicale, son père
était gérant de magasin de vêtements.
C’est une famille qui n’avait pas 450 000 euros.
Mais comme les Juifs ont de l’argent,
les agresseurs étaient persuadés qu’ils mentaient.
Ils ont continué à le torturer et ont appelé
un rabbin au hasard dans l’annuaire.
Le rabbin, qui n’a pas le pouvoir de réunir 450 000 euros,
n’a pas pu sauver la vie d’Ilan Halimi, alors
il a été retrouvé brûlé vif sur les rails du RER.
Vous avez l’histoire d’Ozar-Hatorah, en 2012, à Toulouse,
un monsieur rentre dans une école juive
et met une balle dans la tête de trois enfants,
Arié, Gabriel et Myriam, et d’un papa.
Il explique son crime en expliquant qu’il vient venger les enfants palestiniens.
Je n’arrive pas à trouver de lien logique
entre le fait de tuer des enfants juifs français
et le fait d’aider les enfants palestiniens.
Est-ce que les enfants palestiniens souffrent ?
Oui, c’est un fait.
Mais il n’y a pas de lien logique entre les deux.
Mon hypothèse, c’est que ça a plus à voir avec
l’antisémitisme et la réactivation de crimes rituels,
les Juifs sont responsables de la mort des enfants non-juifs,
qu’avec les vrais enfants de Gaza, réellement.
C’est ce mécanisme qui conduit à
l’assassinat de 13 personnes depuis 2003.
13 juifs tués parce que juif.
Évidemment, j’ai pris une présentation trop longue, il faut
que je réfléchisse à ce que je vais vous dire à présent.
Peut-être une seule chose.
La royauté se finit donc avec la Révolution
française et à ce moment-là,
les Juifs n’ont plus le droit de citer en France.
Dans plusieurs pays d’Europe,
ils sont mis dans des ghettos,
des quartiers fermés par des portes et des murs.
On leur a restreint l’accès à certains métiers, notamment,
ils n’ont pas le droit de travailler la terre, ce qui a
des conséquences assez profondes au Moyen-Âge,
qui est une période où l’économie est très agraire.
Mais à la Révolution française,
il y a un changement.
Les Juifs sont reconnus comme égaux en droit.
Dans la Première Constitution,
les Juifs sont émancipés et accèdent
à l’égalité en droit dans la société française.
C’est la première fois au monde où, quelque part,
les Juifs peuvent être égaux aux autres.
Les Juifs sortent donc du ghetto et s’intègrent
ou s’assimilent aux sociétés occidentales.
Et ce faisant, elles ne sont
absolument plus reconnaissables,
puisqu’elles ne sont plus localisées géographiquement,
ne sont plus spécialisées dans un métier particulier,
et c’est là que naît l’antisémitisme.
L’antisémitisme finalement, pour le comprendre,
on propose un découpage en trois idées.
D’abord, l’antisémitisme économique,
l’antisémitisme racial et l’antisémitisme politique.
L’antisémitisme économique, c’est une idée
finalement assez simple à comprendre.
Vous savez, à la Révolution
française, le féodalisme a été aboli
et il y a un nouveau système de relations
sociales qui s’installe qui s’appelle le capitalisme.
Alors, certains penseurs voient les effets de ce nouveau système social.
Ils voient l’exode rural, ces gens qui partent de la campagne pour aller vers la ville
et travailler à l’usine et ne jamais revoir leur famille,
bosser avec des rythmes effroyables jusqu’à
10-12 heures par jour, travailler dès l’enfance.
Et ils s’interrogent.
Nous avons coupé la tête des rois et
pourtant, nous sommes toujours dominés.
La domination n’est plus concrète, il ne s’agit
plus d’un roi avec une tête et une couronne,
il s’agit d’une domination abstraite.
Abstraite, c’est celle de l’actionnaire invisible,
c’est celle des lois compliquées du capital,
celle de la finance, etc.
Et les critiques de ce système social,
qu’on va appeler les socialistes,
enfin qui s’appelleront eux-mêmes
les socialistes, vont errer
dans leurs critiques.
Finalement, ils vont dire, pour une
partie, tout au long du XIXe,
ce n’est pas un système entier qu’il
faut changer, ce sont les gens.
C’est un petit groupe de gens qui a un rapport particulier à l’argent et qui nous opprime.
J’ai choisi cette image, qui est une affiche de propagande…
C’est un peu anachronique, parce que
c’est de la fin du XIXe, en fait.
C’est une affiche russe.
Mais c’est celle de l’ogre, elle permet de comprendre
cette idée de l’antisémitisme économique.
L’ogre juif prend les honnêtes travailleurs et les
passe à la moulinette pour les transformer en argent.
Donc ça, malheureusement, et c’est un
épisode un peu douloureux peut-être,
c’est quelque chose, c’est une forme de
critique faible et erronée du capitalisme
qui va circuler chez les premiers socialistes du XIXe.
Il faudrait étudier un gros corpus
pour vous en convaincre.
Donc je vais juste prendre des textes un peu signifiants.
Je vais d’abord prendre une citation qui vient de M. Karl Marx.
C’est un texte qu’il écrit en 1844, qui
s’appelle « Sur la question juive ».
Karl Marx écrit « Quel est le fond profane du judaïsme ?
Le besoin pratique, l’utilité personnelle.
Quel est le culte profane du juif ?
Le trafic.
Quel est son dieu profane ?
L’argent.
Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent,
par conséquent du judaïsme réel et pratique,
l’époque actuelle s’émanciperait elle-même.
Une organisation de la société qui
supprimerait les conditions nécessaires du trafic,
par suite la possibilité du trafic,
rendrait le Juif impossible.
C’est-à-dire que dans le langage des socialistes du XIXe,
le mot juif est synonyme du mot capitaliste.
Le mot judaïsme est synonyme du
mot capitalisme, oppression, domination.
Alors quand je vous lis ça, je
ne suis pas en train d’annuler Marx.
Marx va produire une critique du
capitalisme extrêmement puissante
dans son ouvrage majeur qui est
Le Capital, en 1867 où il a 24 ans,
mais Marx est un homme de son temps.
Je vais passer, on pourrait lire Bakounine, qui dit :
« Ce monde juif forme une secte
exploitante, un peuple censu,
un unique parasite dévorant
étroitement et intimement organisé,
non seulement à travers les frontières des États,
mais encore à travers toutes les
différences des opinions politiques.
Le monde juif est aujourd’hui en grande partie à la
disposition de Marx d’un côté, de Rothschild de l’autre. »
On peut lire Jean Jaurès, qui vous savez, répond à la
lettre J’accuse d’Émile Zola, lors de l’affaire Dreyfus.
Il répond à Émile Zola en disant :
Donc si Jaurès est dans le camp Dreyfusard,
c’est à ce moment-là qu’il bascule,
il va défendre le capitaine Dreyfus,
et bien il pense sincèrement que
les juifs sont responsables de l’oppression capitaliste.
Bon, je vous passe Louise Michel, je vous passe qui d’autre ?
Jean-Jaurès encore, enfin, qui vous voulez au XIXe.
Alors, que les choses soient claires, la gauche va réaliser,
la gauche en fait, ce qu’on appelle la gauche au XIXe,
ce n’est pas exactement la même chose qu’aujourd’hui.
On a des amitiés au XIXe qui paraîtraient
complètement improbables aujourd’hui.
Par exemple, vous avez Léon Blum,
l’homme du Front populaire,
l’homme des congés payés, l’homme de la
section française de l’internationale ouvrière,
qui fréquente Maurice Barrès, et sont
très amis, Maurice Barrès de l’Action française.
Pourquoi ?
Parce que tous les deux se revendiquent
du socialisme, critiquent du capitalisme,
et Léon Blum est critique littéraire, et Maurice
Barrès un des plus grands auteurs de son temps.
Mais ce n’est pas le seul couple improbable.
Édouard Drumond, donc celui qui va écrire La France juive,
un récit complètement complotiste où il accuse
les Juifs d’avoir organisé la Révolution
puisqu’ils en sont bénéficiaires,
c’est la logique complotiste.
Puisqu’ils en profitent, c’est que
ce sont eux qui l’ont organisé.
Donc on a d’un côté les socialistes
internationalistes qui vont devenir la gauche
que nous connaissons par la suite,
et les socialistes nationalistes
qui vont devenir l’extrême droite.
Mais cette séparation, en fait, elle
se fait dans le temps de l’affaire Dreyfus.
L’antisémitisme, exacerbé au moment de
l’affaire Dreyfus, est le moment de clarification.
D’ailleurs, le mot antisémitisme,
il naît de la plume d’un auteur
qui s’appelle Wilhelm Mahr, qui est
anarchiste, c’est un anarchiste allemand,
et qui voit dans l’antisémitisme
un projet de justice sociale.
L’antisémitisme, c’est abolir la domination.
Regardez cette affiche qui date de 1889,
donc on est trois ans avant l’affaire Dreyfus,
mais c’est le contexte général.
C’est un candidat au poste de député
dans la deuxième circonscription de Paris.
Adolphe Villette se revendique
comme candidat antisémite.
Qu’est-ce qu’il dit ?
Il dit « Levons-nous, les Juifs ne sont grands
que parce que nous sommes à genoux.
Ils sont 50 000 à bénéficier seuls
du travail acharné et sans espérance
de 30 millions de Français
devenus leurs esclaves tremblants.
Vous vous souvenez de mon drôle d’oiseau
au début, il disait ça aussi, qui nous esclavagise ?
Il n’est pas question de religion.
Le juif est d’une race différente et ennemie de la nôtre.
Ce n’est pas une histoire religieuse,
c’est une histoire scientifique et politique.
C’est ce qu’il revendique.
Le judaïsme, voilà l’ennemi.
En me présentant, je vous donne l’occasion
de protester avec moi contre la tyrannie juive.
Faites le don quand ce ne serait que pour l’honneur.
On voit que très tôt, en réalité, l’antisémitisme,
c’est quelque chose qui a la capacité de circuler.
Il y a un monsieur important dans l’extrême
droite, qui s’appelle Maurice Barrès,
j’ai dit un mot sur lui, il a cette citation incroyable…
Pardon, c’est Charles Maurras,
excusez-moi, de l’Action française,
il a cette citation assez lucide
et assez honnête, il dit
« Tout paraît impossible ou affreusement difficile
sans cette providence de l’antisémitisme.
Par elle, tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. »
C’est que l’antisémitisme permet
de grandes choses au niveau politique.
Vous avez ce livre qui s’appelle
« Les protocoles des sages de Sion »
qui sort au début du XXe siècle et qui est
diffusé par la police du tsar de Russie.
Dans ce livre, en fait, qu’est-ce qu’on entend ?
Qu’est-ce qu’on lit ?
C’est un livre qui se présente comme
s’il était écrit par un lanceur d’alerte.
Regardez l’édition anglaise à droite.
Qu’est-ce qu’on y lit ?
« La possession de ces documents en Russie
soviétique est punissable de mort immédiate. » Pourquoi ?
Tous les patriotes américains doivent lire ces protocoles.
Ce livre prétend dénoncer, il prétend révéler des comptes
rendus d’une réunion secrète qui se serait passée en Suisse.
Les protocoles, c’est un vieux mot
pour dire les comptes rendus.
Finalement, ça pourrait être les comptes
rendus de l’AG des sages de Sion.
Les sages de Sion, c’est qui ?
Évidemment, vous l’avez bien compris, ce sont les sionistes.
Les sionistes, ce sont ceux qui veulent créer un
pays pour solutionner le problème de l’antisémitisme.
Ils se sont réunis à Bâle en 1897 et ils ont publié,
ils ne l’ont pas fait en secret,
puisque leur entreprise est publique.
Leur objectif, c’est de racheter des terres
et de conclure des accords diplomatiques
avec l’Empire ottoman, qui est propriétaire
de la Palestine à cette époque.
Mais les protocoles des sages de Sion,
qu’est-ce qu’on lit dedans ?
On lit que les Juifs se sont réunis pour mettre
en place un projet de domination de la terre entière.
On le voit sur cette première de
l’édition française, on y voit un juif,
une caricature d’un juif en tout cas, qui a les
mains ensanglantées et plantées dans le monde
et sous la terre, encore une
fois, un tas de cadavres.
On y lit dans ce livre que les Juifs sont
responsables de la chute de tous les empires,
qu’on croit que Rome a périclité
par des mouvements de société,
que la Grèce a perdu contre les Romains,
que les Arabes se sont retirés de Jérusalem
par des guerres, que la Révolution
française aurait été le résultat
d’un mouvement intellectuel et social
et de grandes manifestations.
Pas du tout.
Ce livre prétend qu’en réalité, ce sont les juifs
qui ont organisé tous ces bouleversements.
C’est ça la différence finalement entre
une théorie du complot et un complot.
Un complot, ça existe dans l’histoire.
Prenez, je ne sais pas moi, le coup
d’état du général Augusto Pinochet.
Au Chili, c’est un complot très bien renseigné par les
historien·nes, un complot de Pinochet avec la CIA, etc.
C’est très renseigné tout ça.
Mais la théorie du complot, ce n’est pas ça.
C’est l’idée que finalement, il y a un petit
groupe qui instrumentalise l’histoire du monde
au bout de ses doigts en forme de barbelé.
Là, on est dans l’iconographie nazie
qui dénonce finalement des ennemis.
du genre humain. Pour les nazis, c’était les
ennemis des Aryens qui les mettaient en danger,
et qui s’attribuaient la mission historique
d’exterminer ces Juifs qui tentent,
par l’histoire, de prendre le contrôle de la Terre.
Cette idée-là de contrôle à l’échelle
mondiale, de théorie du complot,
c’est ça qui sera le moteur, vous l’avez compris, du nazisme, évidemment.
Alors, ces implications modernes, elles sont multiples en réalité.
Cette vision apocalyptique de l’histoire, elle se
manifeste aujourd’hui de manière très différente.
On l’a vu à travers le pouvoir caché,
encore une fois ce monsieur Jacques Attali
qui contrôlerait Macron dans l’ombre, etc.
Cette fresque a fait l’actualité à l’époque.
On a d’autres accusations complotistes
à l’origine de certaines théories,
par exemple celle du grand emplacement.
C’est un autocollant que j’ai arraché
à Rennes, donc j’aime bien le remontrer.
C’est au moment où le PSG rachetait le Qatar.
On y voit donc un juif qui contrôle un Qatari qui a pour ambition
d’envahir, contrôler l’Europe en bas dans le ballon.
Le juif a un gros sac d’argent, c’est le Qatari
qu’il porte mais le juif chevauche le Qatari,
et sur le livre du Qatari il y est écrit « Coran
talmudisé » comme une espèce d’alliance
entre juifs et musulmans pour contrôler, en tout
cas déstabiliser, peut-être dominer l’Europe.
C’est la théorie du grand emplacement,
qui est diffusée dans des journaux
comme Valeurs Actuelles.
Ici, c’est la figure de George Soros qui est
visée, comme à l’époque c’était Rothschild,
aujourd’hui c’est George Soros,
un milliardaire juif qui est accusé
de comploter contre la France,
de financer l’immigration, etc.
Pour dénaturer la culture
chrétienne, occidentale, etc.
Alors, ces dessins, ces caricatures, etc.
font partie des discours, des idéologies
et je vais vous les exposer
puisque pour rentrer dans le débat
je crois qu’il faut rentrer d’abord
dans la compréhension de cette idéologie
pour ensuite avoir un débat
sur ce qui se passe en France aujourd’hui.
On a sur cette image toujours
Égalité et Réconciliation.
La théorie du deux poids deux
mesures, donc l’idée que finalement
les Juifs utiliseraient la Shoah pour
invisibiliser les autres mémoires.
Ici on a le diable qui porte un masque de Juif,
il est revêtu d’un habit de l’armée
israélienne ensanglanté
et il utilise la mémoire de la Shoah
pour silencier toute la misère du monde
puisque à côté de lui il y a
un esclave, un indien, bref,
toute la misère du monde
sur la balance qu’il manipule.
Cette image qui est l’extrême droite
complotiste, malheureusement,
on la retrouve dans le camp de la gauche.
Ici, on est dans une manifestation
pour la Palestine à Berlin
et on a des drapeaux LGBT, des panneaux Free Gaza,
il n’y a aucune espèce d’ambiguïté,
on est bien dans la gauche.
J’aime bien cette image avec ce panneau où
il est écrit « Antisionisme is not antisémitisme ».
C’est possible, c’est une discussion à avoir.
Je me range beaucoup à la formule de Léon Poliakoff
dans un livre qui s’appelle « De
l’antisionisme à l’antisémitisme ».
Il dit « Il y a une frontière, parfois mince
comme un cheveu, mais hautement significative
entre l’antisionisme et l’antisémitisme ».
Je trouve que c’est une bonne formule,
mais pas ici en tout cas.
Vous avez donc cette imagerie
complotiste qu’on retrouve
dans les mouvements qui se
veulent contestataires.
Attention, je ne suis pas en train de
discréditer le mouvement en question.
Les Palestinien·nes ont besoin de solidarité
absolument et moi-même je vais à ces manifestations.
Mais on peut y croiser ce genre de panneaux
où l’on voit le président de l’association
qui regroupe les institutions juives françaises
contrôler Emmanuel Valls et François Hollande,
Président et Premier ministre de l’époque.
Il est écrit donc, contrôle de
la race inférieure française,
c’est l’accusation faite aux juifs
d’être un peuple dominateur
qui voudrait dominer donc la société française.
On peut évidemment critiquer le Crif (Conseil
représentatif des institutions juives de France)
comme n’importe quelle institution.
C’est pas parce que le Crif est une institution
juive qu’on n’aurait pas le droit de critiquer.
Mais là, c’est pas une critique du Crif.
Là, c’est l’accusation antisémite c’est le
fantasme de puissance attribué aux juifs,
c’est l’idée que les juifs dominent.
Donc on retrouve cette idée-là,
bien sûr, dans l’extrême droite.
Vous avez cette campagne qui
est mise en place par Civitas,
donc un groupement intégriste catholique, qui
se présente aux élections européennes en 2017
avec ce slogan pour la séparation du Crif et de l’État.
C’est un slogan qui fait référence à la loi de laïcité
pour la séparation de l’Église et de l’État bien sûr,
sauf que l’Église a vraiment été
confondue avec l’État jusqu’en 1905.
Non, le Crif n’a pas le pouvoir, le Crif
avec ses 10 salariés n’est ni uni avec l’État,
ni n’a ce pouvoir que l’Église avait.
D’autant plus que ce panneau,
alors il faut s’accrocher pour suivre.
Ce panneau est diffusé dans la Manif pour tous,
le mouvement qui s’oppose à la
légalisation du mariage homosexuel.
Pourquoi ?
Les Juifs sont accusés de vouloir
dominer la société chrétienne.
Comment ?
En légalisant l’IVG.
Vous vous souvenez, c’est Simone
Veil qui avait été accusée
de vouloir faire baisser la natalité
française parce que juive.
Et…
les Juifs veulent diffuser l’homosexualité
pour faire baisser la natalité française.
C’est l’accusation de Civitas qu’ils
développent à plusieurs moments.
C’est ça qu’il y a dans ce panneau.
Et ce slogan, c’est un vieux slogan,
il date des années 50,
par des proches de ceux qui
vont devenir le Front National.
Ce slogan est repris aussi dans la
gauche, avec un signifiant différent,
mais néanmoins, la même idée.
La même idée qu’il y aurait État et institutions
juives qui seraient confondues.
Et là, on a un problème, puisqu’à ce
moment-là, on perd la critique sociale
et on rentre dans l’antisémitisme.
Merci de votre attention.
Je vais m’arrêter là pour l’instant et on
peut rentrer dans le débat avec les questions.
Voilà, ça fait une heure que je parle.
Merci de votre attention.
[Applaudissements]
Vous m’entendez ?
Merci Jonas.
On a convenu pour les questions, on va
toutes les donner en même temps à Jonas
et qu’il les déroulera, il répondra à
toutes les questions d’une seule traite.
Je vous laisse quelques secondes pour réfléchir
si vous avez des interpellations ou des questions.
Je vais faire passer le micro pour prendre
les différentes questions qu’il y en a eu là-bas.
– Merci pour tous ces éclairages très intéressants.
Par rapport à ce que tu disais tout à l’heure sur le XIXe siècle,
peut-être au XXe, quand tu as dit l’extrême droite était antisioniste…
Mais antisémite et la gauche était antisémite…
Enfin bref, je me suis perdue.
Mais du coup, je voudrais bien que
tu reviennes sur ça parce que du coup,
j’ai pas en tête ce truc de la gauche
était sioniste, mais pas antisémite.
Enfin, juste rappeler ça parce que
c’est passé vite et c’était au tout début,
tu déroulais justement toutes les confusions.
Juste revenir dessus parce que je n’ai pas compris.
Merci.
– Il y a une deuxième question ici.
En haut, je la passe.
– Bonjour, oui, merci pour cet exposé très intéressant.
Pardon, merci.
C’était pour savoir qu’est-ce que vous pouvez dire, parce qu’il y a,
j’allais dire, ce vieil antisémitisme français
largement alimenté pendant longtemps
par l’église catholique, mais qui
heureusement depuis trois quarts de siècle
s’en est désolidarisé, assez nettement je pense.
Et puis il y a la convergence avec un certain nombre d’anti,
alors je n’ose pas dire d’antisémitisme,
anti-judaïsme musulmans,
avec des références comme le harqa,
l’arbre qui protège les juifs, etc.
qui est assez présente chez des
amis musulmans, c’est-à-dire,
je ne sais plus si c’est un hadith
ou un verset du Coran,
sur cet arbre derrière lequel
les juifs se protégeraient.
Ce genre de références, et je ne parle
pas de la question de la Palestine,
qui est effectivement le gros
morceau, mais derrière ça,
il y a quand même des références religieuses
musulmanes qui s’allient au vieux fond antisémite,
j’allais dire franco-français, qui persistent
pas uniquement dans les attentats
ou les actes vraiment antisémites,
mais les préjugés sur le lobby juif,
dans la presse.
Je voulais savoir ce que vous
pouvez nous dire là-dessus,
si vous avez le temps, ou c’est peut-être
dans votre livre que j’achèterai.
– Oui, d’accord.
Ça va être dur de répondre à tout.
Je me posais la question, là il y avait une explication sur
la théorie du grand remplacement et
aujourd’hui c’est aussi une théorie
qu’on retrouve notamment dans une
extrême droite qui se déclare aujourd’hui
lutter contre l’antisémitisme sur
les derniers rassemblements.
Comment on en est arrivé là ?
– Une dernière question et après
on te laisse répondre à tout.
– Moi j’ai beaucoup de mal à comprendre, c’est
la raison pour laquelle je suis venue d’ailleurs,
toutes ces histoires d’antisémitisme.
Je suis perdue et d’ailleurs au
début vous aviez bien commencé
en disant l’extrême droite accuse
la gauche d’antisémitisme, etc.
J’ai beaucoup appris au cours de la conférence.
Ce qui me reste peut-être
comme question, c’est au final,
comment on peut, par exemple,
qualifier ce qui se passe en Palestine ?
Comment on fait pour en parler
sans être accusé d’antisémitisme ?
Je suis perdue parfois.
Voilà.
– Ok, c’est vaste.
Je ne sais pas combien de temps
j’ai, mais c’est assez vaste.
Je cherche une citation depuis tout à l’heure
pour répondre à la première question.
Peut-être que ça peut me permettre de clarifier.
En fait, sionisme, anti-sionisme,
c’est un débat et une discussion.
Il faut penser que ça ne veut
pas dire la même chose.
Sionisme, anti-sionisme ne veulent
pas dire la même chose avant 1948,
c’est la création d’Israël, et après 1948.
Avant 1948, le sionisme est une
réponse du monde juif aux pogroms
qui font des centaines de milliers de victimes
en Europe de l’Est et en Russie,
un moment où la violence se déchaîne.
Et il y a plusieurs réponses à l’antisémitisme.
Il y en a deux grandes.
Le sionisme crée un État en Palestine
qui n’est pas du tout populaire au début.
Et il y a le socialisme révolutionnaire qui est très populaire.
Donc c’est beaucoup centré autour du
mouvement du Bund, mais pas uniquement,
mais voilà, on connaît cette référence, à gauche en tout cas,
le Bund qui est l’union des travailleurs juifs
d’Ukraine, de Lituanie et de Russie, de Pologne.
Les pays, je ne sais plus, mais ils sont
transfrontaliers, ils vont s’étendre, etc.,
qui est un mouvement assez incroyable, son
histoire est assez incroyable dont l’analyse,
c’est de dire, finalement, l’antisémitisme
est une fausse conscience anticapitaliste.
Puisque les antisémites s’en prennent
à la source de la domination,
mais ils visent les Juifs au lieu des vrais
lieux de pouvoir que sont les patrons,
ceux qui détiennent le capital, etc.
Leur stratégie, c’est de dire on va
visibiliser les vrais lieux de pouvoir
et on va organiser le prolétariat afin de
rediriger les colères légitimes vers le bon endroit
et pour que les gens vivent
dans de meilleures conditions et
ils n’aient pas besoin de taper sur les Juifs à côté.
D’ailleurs, j’ai oublié un petit point
dans les protocoles des sages de Sion.
Ce document est diffusé par le tsar de Russie
parce que la révolution communiste couve
et la police secrète du tsar dit aux Russes, écoutez,
vous croyez que les communistes veulent votre bien,
mais pas du tout, c’est les Juifs qui
vous instrumentalisent en réalité.
C’est ça l’objectif des protocoles des sages de Sion et c’est ça
qui a généré ce qu’on a appelé
l’accusation de judéo-bolchevisme.
Pardon, j’avais oublié de vous
raconter ça, c’était important.
Les bundistes sont opposés aux sionistes
parce qu’ils ont une autre stratégie
vis-à-vis du problème de l’antisémitisme.
Certains disent qu’ils étaient anti-sionistes.
On peut dire ça, mais en réalité ce n’était pas ça leur sujet.
Leur sujet, c’était la lutte contre l’antisémitisme.
Et il se trouve qu’ils ne sont pas
d’accord avec les sionistes.
Mais bundistes et sionistes ont collaboré
de nombreuses fois face aux antisémites.
Notamment pendant la Shoah, on connaît tou·tes
l’histoire de l’insurrection du ghetto de Varsovie,
les sionistes du Poale Tsion et de Hashomer Hatsaïr
étaient avec les bundistes, ils étaient ensemble.
Il n’y a aucun doute là-dessus.
On a un antisionisme réel dans des sectes juives du début du XXe,
notamment chez des ultra-orthodoxes
qui considèrent que
finalement c’est un péché de retourner
en Israël tant que le Messie n’est pas arrivé.
Et eux ont un discours finalement assez
chrétien qui dit : nous méritons l’antisémitisme,
nous avons péché, nous devons
souffrir l’antisémitisme en diaspora,
donc dans la vie en dehors d’Israël.
Alors voilà, les bundistes en fait, le Bund
est une histoire assez incroyable,
je vous encourage à lire Histoire du
Bund d’Henri Minczelesqui est incroyable.
Le Bund a été à l’origine de la création du
POSDR, le Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe,
qui deviendra le Parti Communiste Russe, bref,
c’est une histoire importante et assez peu connue.
Mais le Bund va être exterminé pendant la Shoah.
Les bundistes vont être exterminés,
et c’est le sionisme qui va s’imposer
comme une solution de survie pour les Juifs.
Finalement, tout au long du XXe, à peu près
4 millions de Juifs vont immigrer en Israël,
en Palestine avant 1948, puis Israël après
1948, non pas parce qu’ils sont idéologisés,
mais parce qu’il faut qu’ils aillent quelque part.
Ils sont rescapés de la Shoah, ils sont immigrés
à patrie des pays arabes ou maghrébins,
ils sont russes fuyant l’antisémitisme soviétique,
ils sont éthiopiens fuyant la montée
de l’antisémitisme en Éthiopie.
Et ceux-là cherchent un pays, donc Israël
est fait pour ça, c’est le but du sionisme.
Et il se trouve en fait effectivement
que l’extrême droite se constitue
autour de ce que j’appelle
l’antisionisme conspirationniste.
C’est-à-dire, il y a une typologie d’antisionisme.
On ne peut pas tout mettre sur le même
plan, je ne suis pas d’accord avec ça.
Mais Hitler, par exemple, c’est la
citation que je vais vous proposer,
Hitler était antisioniste, il n’y a aucune espèce de doute.
Je ne suis pas en train de dire
que les antisionistes sont des nazis,
mais par contre que les nazis,
eux, étaient antisionistes.
Lorsque le sionisme cherche
à faire croire au reste du monde
que la conscience nationale des juifs trouverait
sa satisfaction de la création d’un état palestinien,
alors quand on dit État palestinien avant
1948, ça veut dire un État des Juifs.
D’ailleurs, les sionistes se disent pro-palestiniens
parce qu’ils veulent trouver une solution
au problème de l’antisémitisme en Palestine.
« Les juifs qui trouveraient satisfaction
de la création d’un État palestinien,
ces juifs dupent encore une fois les sots
goyim — c’est-à-dire les non-juifs —,
de la façon la plus patente, ils n’ont pas
du tout l’intention d’édifier en Palestine
un État juif pour aller s’y fixer.
Ils ont simplement envie d’y établir l’organisation centrale
de leur entreprise charlatanesque d’internationalisme universel.
Elle serait ainsi douée des droits de souveraineté
et soustraite à l’intervention des autres États.
Elle serait un lieu d’asile pour tous les gredins démasqués
et une école supérieure pour les futurs bateleurs. »
En gros, Hitler dit que les Juifs veulent
créer un QG pour dominer le monde.
Il faut savoir que lors de la création
du sionisme et jusque dans les années 60,
la 3e puis la 4e Internationale soutient le sionisme.
La guerre de 48, qui est la guerre arabo-
sioniste entre Israël et les pays arabes autour,
une guerre nationaliste entre
nationalisme juif et nationalisme arabe,
les Arabes sont armés par l’Angleterre
et les Juifs sont armés par la Russie.
La Russie de Staline soutient la création de l’État
d’Israël, mais malheureusement pour Staline,
Israël va choisir les États-Unis
comme alliés dans la guerre froide.
Et il va y avoir un retournement, d’abord en Russie.
Staline passe de sioniste à anti-sioniste rapidement,
notamment parce que l’histoire de la Seconde
Guerre mondiale est en train d’être écrite.
Qu’est-ce qu’a fait Staline ?
Il s’est compromis avec Hitler,
avec le pacte germano-soviétique.
Eh bien, en 1938, il a serré la main de M. Ribbentrop,
le ministère des Affaires étrangères
allemand du parti nazi, pour dire voilà,
on se partage la Pologne, t’envahis la moitié,
j’envahis la moitié et on ne s’agresse pas.
Donc Staline s’est compromis avec le nazisme.
Et il se trouve qu’il y a des Juifs
qui sont en train d’écrire l’histoire,
notamment le Comité antifasciste
juif (CAJ) qui, dès 1939,
se doute qu’il y a une extermination, un génocide
des juifs d’Europe, qui va renseigner cela.
Et petit à petit, Staline, pris
dans cette réécriture de l’histoire,
va tout faire pour diaboliser
les juifs puis les sionistes.
Ça va donner l’occasion de grandes campagnes,
que sont la campagne contre
les cosmopolites enracinés.
C’est toute une histoire, je n’ai
pas le temps de rentrer là-dedans.
Mais c’est à ce moment-là qu’il y
a une réécriture au sein de la Russie
pour expliquer que les sionistes
étaient les alliés des nazis.
C’est ce qu’on a appelé l’accusation
de collusion sioniste-nazisme.
Les juifs sont accusés, enfin, les
sionistes dans la Russie soviétique
sont accusés d’avoir collaboré avec les nazis.
Mais c’est un retournement,
en fait, dans cette histoire.
C’est ça qui va donner, en fait,
ces sortes de comparaisons entre
Israéliens et nazis dès les années 50.
Donc ça, on peut le voir dans toute
la propagande soviétique de l’époque.
Ces drapeaux où on mixe étoiles
de David et étoiles nazis.
Je n’ai pas le temps de rentrer là-dedans,
mais c’est ça, ce retournement.
Il faut savoir que jusqu’en 1967, la guerre des Six Jours,
Israël était vu comme le faible
vis-à-vis des États arabes.
La gauche voyait la création d’Israël
comme la fin du peuple pariat,
la fin de ce peuple qui avait erré
partout et qui n’était fixé nulle part,
qui était persécuté, qui allait
de persécution en persécution.
En 1967, David est devenu Goliath,
puisque le rapport de force s’inverse
entre Israël et ses voisins arabes.
Et à partir de ce moment-là,
lentement, jusqu’à aujourd’hui,
la gauche change de camp et va plutôt
rentrer du côté des pays arabes.
C’est une longue histoire, un long conflit.
Alors, ça me permet d’aller sur la question…
Alors, je vais essayer de répondre.
Je vais répondre à trois autres questions
en même temps, je vais tenter ça.
Être moins long que la première.
Aujourd’hui, on est coincé.
Je vais partir de la question sur l’extrême
droite qui prétend lutter contre l’antisémitisme.
Rappelons une chose, l’extrême droite
n’a jamais lutté contre l’antisémitisme.
Je n’ai pas eu le temps de développer cette idée-là,
mais si on est d’extrême droite,
on est forcément antisémite.
Si on n’est pas antisémite,
on ne peut pas être d’extrême droite.
Ce n’est pas possible.
Ça ne correspond pas au logiciel.
On peut être réac, raciste, on peut être nationaliste,
mais on ne peut pas être d’extrême droite.
Il manque la composante complotiste.
Qu’est-ce que c’est ?
C’est l’idée que la société française est mise en danger
par des parasites qui sont des faux Français.
Ces parasites, iels seraient de deux sortes.
Il y a les parasites d’en bas, les immigrés, ceux qui piquent
les allocs, les handicapés, les chômeur·euses, les RSI, etc.
C’est les parasites du bas qui mettent
en danger les vrais travailleur·euses.
Et il y a les parasites du haut,
la finance internationale.
Et cette vision-là, c’est l’antisémitisme.
Parce que la personnification de la
finance internationale, c’est le juif,
et aujourd’hui, ce n’est plus le Juif le parasite
du bas dans l’imaginaire de l’extrême droite,
mais ça l’était à la fin du XIXe, puisque les Juifs
étaient surreprésentés dans le prolétariat,
ils étaient vus comme sales,
débauchés, homers, dégradés, etc.
Et aujourd’hui, c’est plus les immigrés,
enfin tous ceux que j’ai dit, les chômeurs, etc.
Mais pour autant, l’extrême
droite continue à avoir ce langage-là.
Jean-Marie Le Pen fustigeait la juiverie internationale,
Marine Le Pen fustige la finance internationale,
Jean-Marie Le Pen fustigeait les youpins,
Marine Le Pen fustige les cosmopolites.
Oui, Marine Le Pen ne désigne plus
les Ivan Elkabash, les Elkabash,
les Ivan Levaille, les Ruth Elkrief, elle ne désigne plus des juifs nominément,
mais elle dit que les médias sont
tenus par des élites intellectuelles.
Ce que j’ai essayé de vous faire
comprendre, là, rapidement,
c’est que l’antisémitisme, ce n’est pas
seulement le fait d’attaquer des juifs nominément.
C’est une vision du monde dans laquelle
les juifs jouent le rôle d’enfants des ténèbres.
Ça, c’est la formule de Moishe Postone.
J’aurais voulu vous lire, mais on n’a pas le temps.
L’extrême droite, elle prétend lutter
contre l’antisémitisme aujourd’hui,
mais elle n’a jamais rien fait.
Elle n’a jamais organisé une conférence,
elle n’a jamais proposé une loi.
L’extrême droite s’est toujours
battue contre le droit antiraciste,
d’ailleurs, a toujours voté contre, etc.
L’extrême droite, si elle dit
qu’elle est contre l’antisémitisme,
c’est parce qu’elle désigne les musulmans
comme les responsables de l’antisémitisme.
L’extrême droite, comme d’autres
parties dans d’autres groupes politiques,
s’amuse à un jeu que j’appelle le jeu
de la théorie du choc des civilisations.
Elle fantasme un monde qui serait
un affrontement entre un Occident civilisé
et un Orient barbare et qu’il faudrait repousser les
musulmans, ambassadeurs de cet Orient barbare, etc.
C’est la vision qu’elle défend en France,
mais c’est aussi la vision qu’elle défend
sur la manière dont elle se
représente les conflits géopolitiques.
Dans cette vision-là, Israël joue le rôle
d’un rempart face à l’islamisation du monde.
C’est la vision de l’extrême droite,
ce n’est pas la mienne, je le précise.
En miroir, c’est la même vision
de groupes d’extrême droite
qui se revendiquent de l’islam
politique, par exemple Hamas,
et qui voient Israël comme le dernier
bastion de l’Occident qu’il faudrait dégager
pour achever l’avènement d’une
société réconciliée et islamique.
C’est-à-dire que les Juifs sont
mis au centre d’un jeu, disputé,
dans une vision apocalyptique et
fantasmée, entre un Orient et un Occident.
Cette vision, en fait, elle ne repose sur rien.
La géopolitique, c’est compliqué.
Regardez, en réalité.
Netanyahou, il est copain avec Poutine, qui,
lui, est copain avec l’ayatollah Khomeini d’Iran.
Et l’Iran soutient le Hamas.
Donc c’est compliqué en fait.
Donald Trump, il est copain avec Poutine.
Poutine qui soutient l’Iran.
Donald Trump est aussi copain avec Netanyahou.
Donc ça ne fonctionne pas cette vision.
Il n’y a pas deux blocs qui
s’affrontent, ce n’est pas vrai.
Et aujourd’hui, tout le débat se
passe sur le plan civilisationnel.
Cette vision de la société, cette vision
et tout le débat sur l’antisémitisme
se passe comme s’il y avait un affrontement
entre un Orient et un Occident.
C’est pour ça que le débat est structuré
par la thèse du nouvel antisémitisme
qui postule qu’il existerait une rupture historique,
que l’anti-judaïsme chrétien n’existerait plus,
que l’extrême droite ne serait
plus antisémite mais qu’il y aurait
des nouveaux antisémites
qui seraient les musulmans.
Ça c’est la vision de de l’antisémitisme
qui est partagé par un arc de cercle
qui s’étend du centre gauche
jusqu’à l’extrême droite.
Je le sais parce qu’ils ont signé
ensemble un manifeste qui s’appelle
le manuel « contre le nouvel antisémitisme » en 2018 et qui réunit
de Philippe Val, la bande autour du printemps républicain,
jusqu’à Éric Ciotti en passant par François Hollande, Nicolas Sarkozy, etc.
C’est donc un manifeste confusionniste
puisqu’il met en compétition
juifs et musulmans dans la société et
tout le monde s’engouffre là-dedans.
Vous savez, la gauche dit finalement
que l’antisémitisme n’existe plus.
Rappelez-vous de la phrase de Jean-Luc Mélenchon
récemment, l’antisémitisme est résiduel.
Pourquoi il dit ça ?
Parce qu’il dit en même temps,
alors c’est pas lui qui théorise ça,
c’est des auteurs comme Enzo Traverso,
Dominique Vidal, Alain Badiou, Eric Hazan,
ils disent que oui c’est les musulmans qui attaquent
les juifs, d’après eux, c’est eux qui disent ça.
Mais ils le font pas parce qu’ils
seraient antisémites, ils le feraient
parce qu’ils considéraient les juifs
comme des ambassadeurs d’Israël.
Donc ils le feraient par révolte anticoloniale.
Ils disent, selon les auteurs, pas
nécessairement qu’ils s’en réjouissent,
mais ils disent, finalement, si les Juifs
veulent s’en sortir, ils doivent arrêter d’être…
Il faut qu’ils arrêtent d’être…
Il faut qu’ils arrêtent de soutenir l’existence d’Israël.
Il faut qu’ils combattent Israël.
Et comme ça, eh bien, ils n’auraient plus…
Ils ne seraient plus la victime des musulmans.
En fait, le problème dans ces
deux analyses de l’antisémitisme,
c’est que finalement, on prétend
parler de l’antisémitisme et des Juifs,
mais en fait, on parle d’autre chose.
À droite, on ne se préoccupe pas
des Juifs et de l’antisémitisme,
on se préoccupe de taper sur les musulmans.
Et à gauche, on ne se préoccupe pas
des Juifs et de l’antisémitisme,
on se préoccupe de taper sur Israël.
Et c’est comme ça que le débat est binarisé.
Je vais vous donner un exemple très concret.
Après le 7 octobre, Gérald Darmanin,
la première chose qu’il dit,
c’est « j’interdis les manifestations
pour la Palestine ».
Donc c’est absolument dégueulasse,
évidemment, à plein de niveaux.
D’abord au niveau des libertés
publiques, au niveau politique.
Les Palestinien·nes méritent de la solidarité, évidemment.
Bon, ça pose plein d’autres problèmes.
Ils désignent tous ceux qui participent
aux manifestations de solidarité
avec la Palestine comme antisémites.
Alors que ce n’est pas vrai.
La majorité des gens sont sincèrement en colère
en voyant les images horribles de Gaza.
Et moi aussi.
D’ailleurs moi-même je suis allé
dans ces manifestations.
Donc ça ne va pas du tout.
Et pourtant, il y a quand même une
augmentation subite des actes antisémites,
agressions physiques, tentatives
d’incendie, viols à caractère antisémite,
tentatives de viols à caractère
antisémite et homophobe,
cambriolages, inscriptions, lettres
de menaces de mort, harcèlement, etc.
Il y a une marche contre l’antisémitisme,
organisée dans des conditions
un peu bizarres, que je regrette.
Je regrette que ce soit l’État qui organise
ces manifestations, mais c’est une autre question.
Et là, que répond Jean-Luc Mélenchon ?
Ceux qui vont marcher contre l’antisémitisme
soutiennent les massacres à Gaza.
Il n’y a rien de mieux pour mettre de l’huile sur le feu,
des relations entre juifs et musulmans,
opposer la lutte contre l’antisémitisme
à la solidarité avec la Palestine, et surtout
pour que personne n’y comprenne rien.
C’est mon hypothèse, l’hypothèse
qu’on défend dans le livre,
c’est qu’on agit et on réfléchit dans le cadre
d’un débat, dans le cadre d’une analyse
qui est dirigée par la théorie
du choc des civilisations.
Et nous, on propose peut-être
des pistes pour sortir
de cette analyse binaire, campiste,
et extrêmement polarisée et polarisante.
Dernier bout que je n’ai pas abordé,
mais je vais le faire rapidement.
Je ne parle pas d’antisémitisme musulman,
je refuse d’utiliser une particule à l’antisémitisme.
Certains parlent d’antisémitisme de gauche,
de droite, du centre, je ne sais pas quoi.
Certains parlent d’antisémitisme contextuel, résiduel.
Non, l’antisémitisme, c’est l’antisémitisme.
C’est un rapport social, c’est une manière
de voir le monde et qui, en fait, a des…
adeptes dans tous les bouts de
la société et depuis toujours.
Certains disent, oui, mais la gauche n’est pas
antisémite, c’est la droite qu’il est, etc.
Non, l’antisémitisme n’a pas de couleur
politique, il n’est ni de gauche ni de droite.
Par contre, il existe bien un anti-judaïsme chrétien,
au sens où il y a des justifications religieuses
chrétiennes du rejet des Juifs,
et il existe bien un anti-judaïsme
musulman, dans le même sens,
à partir de certaines interprétations du Coran, etc.
Ce qui est important de formuler, c’est
que c’est certaines interprétations.
Le Coran n’est pas antisémite, comme le dit
le manifeste contre le nouvel antisémitisme
qui appelle à réécrire le Coran d’ailleurs.
Comme le christianisme n’est pas antisémite.
C’est certaines interprétations haineuses
qui peuvent être faites du texte,
qui peuvent être prises dans le
sens de la diffusion de la haine.
Mais je veux dire, vous prenez
n’importe quel texte sacré,
prenez la Torah par exemple,
il y a des bouts homophobes dedans.
C’est vrai.
Et pour autant, je refuse de dire
que la Torah est homophobe.
Ce sont des textes qui ont été écrits
en moins 1500 avant Jésus-Christ,
au 1er siècle, pour le Nouveau
Testament, et au 6e siècle, pour le Coran.
Donc forcément, la vision des femmes,
des rapports sociaux de genre,
de sexe, la relation aux pratiques sexuelles
non-hétéro, ne sont pas les mêmes.
Et il faut replacer ça dans un contexte d’époque.
Oui, il existe un anti-judaïde musulman, c’est vrai.
D’ailleurs, je n’en ai pas du tout parlé, mais il y a aussi
une histoire des persécutions des juifs en terre d’islam.
Mais pour moi, il n’y a pas d’anti-
sémitisme musulman dans le sens où
il y a l’antisémitisme qui revêt différents masques.
On parle évidemment d’un problème
réel qui est l’islam politique.
En France, c’est lui qui occasionne
la tuerie de l’école Ozar-Hatorah,
Mohammed Merah est acquis aux idées d’Al-Qaïda.
Et Koulibaly, qui tue quatre personnes
en janvier 2015 à l’Hyper Cacher,
dans une épicerie juive, il tue quatre
personnes au nom de Daesh.
Qu’est-ce que c’est l’idée ?
C’est que les Juifs veulent
dominer le monde islamique.
Et ça, c’est une théorie qui est
développée dans les années 50
au sein de la Société des Frères
musulmans par le grand théoricien
communiquant des frères musulmans
qui s’appelle Saïd Koudb.
Qu’est-ce qu’il fait ce type-là ?
En fait, il prend les protocoles des sages
de Sion et il modifie les mots.
Au lieu d’écrire « les Juifs veulent dominer le monde »,
il réécrit « les Juifs veulent dominer
la Houmma islamique ».
En fait, c’est la même chose.
Juste, il met un habit, un
déguisement islamo-compatible
à la théorie de l’antisémitisme parce
que son objectif, c’est de la diffuser.
Et ça, c’est un classique.
On prend les vieilles accusations,
on les adapte au contexte local,
et hop, on a un outil politique qui fonctionne.
Donc, c’est dans ce sens-là que je dis
qu’il n’y a pas d’antisémitisme musulman.
Il y a l’antisémitisme tout court.
Voilà, ça va ?
C’est plutôt clair ?
Est-ce qu’on a encore d’autres questions ?
J’ai trop parlé.
– Est-ce qu’on peut inviter à prolonger autour
d’une signature pour celleux qui souhaitent
acheter le bouquin et en savoir
encore plus qui est là-haut ?
Vous pouvez prolonger les échanges autour
de l’ouvrage, en vente en haut du gradin.
Et merci beaucoup pour…
cette conférence.
Merci à vous d’être venus.
C’était la dernière de l’année et on
vous retrouve de mémoire le 28 janvier.
D’ici là, on vous souhaite une bonne fin d’année.
Merci encore pour votre présence.
Vous pourrez retrouver la conférence
sur la chaîne YouTube de l’Université.
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Générique
Introduction à la lutte contre l’antisémitisme
Conférence de Jonas Pardo
Mardi 26 Novembre – Le Tambour, Université Rennes 2
Emmanuelle Smirou, Vice-présidente Conditions de travail, action sociale et égalité.
Événement porté par le service culturel dans le cadre de la Mission Égalité de l’Université Rennes 2.
Sous-titrage Camille Leleu
CREA – Université Rennes 2
Directeur Gaal Melikian
Directrice Adjointe Christine Zimmermann
Direction de production Amélie Rouleau
Chargé de production Clément Dufloux
Réalisation Henri Huchon
Regie Tambour Éric Barbier
Infographie Yann Garandel
Service culturel
Responsable du service Sarah Dessaint
Responsable adjointe, chargée de l’action culturelle Laura Donnet
Graphisme, régie d’exposition Benoît Gaudin
Gestion administrative et financière Fanny Hubert
Chargée de communication Clara Guichard
Assistante de communication Léa Montezin
Visuel © Yura Batiushyn/unsplash
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